Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/252

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à merveille. Ah ! que vous êtes bien coiffée ! et mille bagatelles de cette espèce, dignes de l’entretien de jeunes filles qui voient de la parure.

Mon amie la religieuse vint s’en mêler à sa manière ; et, s’adressant malicieusement, sans doute, à celle qui me dédaignait tant, et qui s’avançait avec elle : N’est-il pas vrai, mademoiselle, que ce serait là une belle victime à offrir au Seigneur ? lui dit-elle. Ah ! mon Dieu, le beau sacrifice que ce serait, si mademoiselle renonçait au monde, et se faisait religieuse ! (Vous comprenez bien que c’était de moi qu’elle parlait.)

Eh ! mais, ma mère, je crois pour moi que c’est son dessein : et elle ferait fort bien, repartit l’autre ; ce serait du moins le parti le plus sûr. Et puis m’apostrophant : Vous avez là une belle robe, Marianne, et tout y répond ; cela est cher au moins, et il faut que la dame qui a soin de vous soit très généreuse : quel âge a-t-elle ? est-elle vieille ? songe-t-elle à vous assurer de quoi vivre ? Elle ne sera pas éternelle, et il serait fâcheux qu’elle ne vous mît pas en état d’être toujours aussi proprement mise ; on s’y accoutume, et c’est ce que je vous conseille de lui dire.

Le silence qui se fit à ce discours, et qui vint en partie de l’étonnement où il jeta toutes ces filles, me déconcerta ; je restai muette et confuse en voyant la confusion des autres, et ne pus m’empêcher de pleurer avant que de répondre.

Pendant que je me taisais : Qu’est-ce que c’est que ce raisonnement-là, mademoiselle ? Eh de quoi vous mêlez-vous ? repartit pour moi cette religieuse qui m’aimait. Savez-vous bien que votre mauvaise humeur n’humilie que vous ici, et qu’on n’ignore pas le motif d’un mouvement si hautain ! C’est votre défaut que cette hauteur ! madame votre mère nous en avertit quand elle vous mit ici, et nous pria de tâcher de vous en corriger ; j’y fais ce que je puis, profitez de la leçon que je vous donne ; et, en parlant à mademoiselle, ne dites plus, Marianne, comme vous venez de le dire, puisqu’elle vous appelle toujours mademoiselle, et qu’il n’y a que vous de toutes vos compagnes qui preniez