Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/259

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quelque chose de sinistre ? Qui est-ce qui n’aurait pas cru que j’allais essuyer quelque nouvelle iniquité de sa part ?

Vous verrez peut-être que, selon lui, ce sera moi qui aurai voulu le tenter pour l’engager à me faire du bien, me disais-je ; mais ce n’est pas là ce qu’il a dit au père Vincent : il m’a seulement accusée d’avoir cru que c’était lui-même qui m’aimait ; et ce bon religieux, devant qui nous nous sommes trouvés tous deux, ne refusera pas son témoignage à une pauvre fille à qui on veut faire un si grand tort. Voilà comme je raisonnais en me voyant dans la cour de M. de Climal, de sorte que je sortis du carrosse avec un tremblement digne de l’effroyable scène à laquelle je me préparais.

Il y avait deux escaliers ; je dis à un laquais : Où est-ce ? Par là, mademoiselle, me dit-il ; c’était l’escalier à droite qu’il me montrait, et dont Valville en cet instant même descendait avec précipitation.

Étonnée de le voir là, je m’arrêtai sans trop savoir ce que je faisais, et me mis à examiner quelle mine il avait, et de quel air il me regardait.

Je le trouvai triste, mais d’une tristesse qui, ce me semble, ne signifiait rien contre moi ; aussi m’aborda-t-il d’un air fort tendre.

Venez, mademoiselle, me dit-il en me donnant la main : il n’y a point de temps à perdre, mon oncle se meurt, et il vous attend.

Moi, monsieur ! repris-je en respirant plus à l’aise ; car sa façon de me parler me rassurait, et puis cet oncle mourant ne me paraissait plus si dangereux : un homme qui se meurt voudrait-il finir sa vie par un crime ? cela n’est pas vraisemblable.

Moi, monsieur ! m’écriai-je donc, et d’où vient m’attend-il ? que peut-il me vouloir ? Nous n’en savons rien, me répondit-il ; mais ce matin il a demandé à ma mère si elle connaissait particulièrement la jeune personne qu’elle avait saluée au couvent ces jours passés ; ma mère lui a dit qu’oui ; lui a même appris, en peu de mots, de quelle