Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/260

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façon vous vous étiez connues à ce couvent, et ne lui a point caché que c’était elle qui vous y avait mise. Là-dessus, vous pouvez donc la faire venir, a-t-il répondu, et je vous prie de l’envoyer chercher ; il faut que je la voie, j’ai quelque chose à lui dire avant que je meure ; et ma mère a aussitôt écrit à votre abbesse de vous laisser sortir ; voilà tout ce que nous pouvons vous en dire.

Hélas ! lui répondis-je, cette envie qu’il a de me voir m’a d’abord fait peur : je me suis figuré, en partant, qu’il y avait quelque mauvaise volonté de sa part. Vous vous êtes trompée, reprit-il, du moins paraît-il dans des dispositions bien éloignées de cela ; et nous montions l’escalier pendant ce court entretien. C’est ma mère, ajouta-t-il, qui a voulu que je vous prévinsse de tout ceci avant que vous vissiez M. de Climal.

À ces mots nous arrivâmes à la porte de sa chambre ; je vous ai dit que j’étais un peu rassurée : mais la vue de cette chambre où j’allais entrer ne laissa pas que de me remuer intérieurement.

C’était en effet une étrange visite que je rendais ; il y avait mille petites raisons de sentiment qui m’en faisaient une corvée.

Il me répugnait de paraître aux yeux d’un homme, qui, à mon gré, ne pouvait guère s’empêcher d’être humilié en me voyant. Je pensais aussi que j’étais jeune, et que je me portais bien, et que lui était vieux et mourant.

Quand je dis vieux, je sais bien que ce n’était pas une chose nouvelle ; mais c’est qu’à l’âge où il était, un homme qui se meurt a cent ans, et cet homme de cent ans m’avait parlé d’amour, m’avait voulu persuader qu’il n’était vieux que par rapport à moi qui étais trop jeune ; et, dans l’état hideux et décrépit où il était, j’avais de la peine à l’aller faire ressouvenir de tout cela. Est-ce là tout ? Non ; j’avais été vertueuse avec lui, il n’avait été qu’un lâche avec moi ; voyez combien de sortes d’avantages j’aurais sur lui ! Voilà à quoi je songeais confusément, de façon que j’étais moi-même honteuse de l’affront que mon âge, mon innocence et