Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/274

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ser et de s’énoncer toute la franchise du brusque, sans en avoir la dureté.

On lui voyait une sagacité de sentiment prompte, subite et naïve, une grande noblesse dans les idées, avec une âme haute et généreuse. Mais ceci regarde le caractère, que vous connaîtrez encore mieux par les choses que je dirai dans la suite.

Il y avait déjà du temps que nous étions là, quand madame de Miran sortit de la chambre du malade, et nous dit que la connaissance lui était entièrement revenue, et qu’actuellement les médecins le trouvaient beaucoup mieux. Il m’a même demandé, ajouta-t-elle en m’adressant la parole, si vous étiez encore ici, mademoiselle, et m’a priée qu’on ne vous ramenât à votre couvent qu’après que vous auriez dîné avec nous. Vous me faites beaucoup d’honneur, lui répondis-je, et je ferai ce qu’il vous plaira, madame.

Je voudrais qu’il sût que je suis ici, dit alors le magistrat, son ami, et j’aurais une extrême envie de le voir, s’il était possible.

Et moi aussi, dit la dame ; n’y aurait-il pas moyen de l’avertir ? S’il est mieux, il ne sera peut-être pas fâché que nous entrions ; qu’en dites-vous, madame ? Les médecins en ont donc meilleure espérance ? Hélas ! cela ne va pas encore jusque-là ; ils le trouvent seulement un peu moins mal, et voilà tout, répondit madame de Miran ; mais je vais retourner sur-le-champ, pour savoir s’il n’y a point d’inconvénient que vous entriez ; et à peine nous quittait-elle là-dessus, que les deux médecins sortirent de la chambre.

Messieurs, leur dit-elle, ces deux dames peuvent-elles entrer avec monsieur pour voir mon frère ? est-il en état de les recevoir ?

Il est encore bien faible, répondit l’un d’eux, et il a besoin de repos ; il serait mieux d’attendre quelques heures.

Ah ! sans difficulté, il faut attendre, dit alors le magistrat, je reviendrai cette après-midi. Ce ne sera pas la peine, si vous voulez rester, reprit madame de Miran. Non, dit-il, je vous suis obligé, je ne saurais ; j’ai quelque affaire.