Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/280

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demeuré en qualité de fille de boutique, avec madame Dutour, de qui j’ai dit étourdiment, ou par pure distraction, que je ne parlerai plus, et qui en effet ne paraîtra plus sur la scène.

Mademoiselle de Fare accourut d’abord à moi, et m’embrassa d’un air folâtre : mais ce fatal objet, cette misérable madame Dutour venait de frapper mes yeux, et elle n’embrassa qu’une statue ; je restai sans mouvement, plus pâle que la mort, et ne sachant plus où j’étais.

Eh ! ma chère, qu’avez-vous donc ? Vous ne me dites mot, s’écria mademoiselle de Fare, étonnée de mon silence et de mon immobilité.

Eh ! que Dieu nous soit en aide ! Aurais-je la berlue ? N’est-ce pas vous, Marianne ? s’écria de son côté madame Dutour. Eh ! pardi oui, c’est elle-même ; tenez, comme on se rencontre ! Je suis venue ici pour montrer de la toile à des dames qui sont vos voisines, et qui m’ont envoyé chercher ; et en revenant, j’ai dit, il faut que je passe chez madame la marquise, pour voir si elle n’a besoin de rien. Vous m’avez trouvée dans sa chambre, et puis vous m’amenez ici, où je la trouve ; il faut croire que c’est mon bon ange qui m’a inspiré d’entrer dans la maison.

Et tout de suite elle se jeta à mon cou. Quelle bonne fortune avez-vous donc eue ? ajouta-t-elle tout de suite. Comme la voilà belle et bien mise ! Ah que je suis aise de vous voir brave ! Que cela vous sied bien ! Je pense, Dieu me pardonne, qu’elle a une femme de chambre. Eh ! mais, dites-moi donc ce que cela signifie, voilà qui est admirable, cette pauvre enfant ! Contez-moi donc d’où cela vient.

À ce discours, pas un mot de ma part ; j’étais anéantie.

Là-dessus, Valville arrive d’un air riant ; mais, à l’aspect de madame Dutour, le voici qui rougit, qui perd contenance, et qui reste immobile à son tour. Vous jugez bien qu’il comprit toutes les fâcheuses conséquences de cette aventure ; ceci, au reste, se passa plus vite que je ne puis le raconter.

Doucement, madame Dutour, doucement, dit alors made-