Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/281

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moiselle de Fare ; vous vous trompez sûrement, vous ne savez pas à qui vous parlez. Mademoiselle n’est pas cette Marianne pour qui vous la prenez.

Ce ne l’est pas ! s’écria encore la marchande, ce ne l’est pas ! Ah ! pardi, en voici bien d’une autre : vous verrez que je ne suis peut-être pas madame Dutour aussi, moi ! Eh ! merci de ma vie, demandez-lui si je me trompe. Eh bien ! répondez donc, ma fille ; n’est-il pas vrai que c’est vous ? Dites donc, n’avez-vous pas été quatre ou cinq jours en pension chez moi pour apprendre le négoce ? C’était M. de Climal qui l’y avait mise, et puis qui la laissa là un beau jour de fête ; bon jour, bonne œuvre ; adieu, va où tu pourras. Aussi pleurait-elle, il fallait voir, la pauvre orpheline ! Je la trouvai échevelée comme une Madeleine ; une nippe d’un côté, une nippe de l’autre ; c’était une vraie pitié.

Mais encore une fois, prenez garde, madame, prenez garde ; car cela ne se peut pas, dit mademoiselle de Fare étonnée. Oh ! bien, je ne dis pas que cela se puisse, mais je dis que cela est, reprit la Dutour. Eh ! à propos, tenez, c’est chez M. de Valville que je fis porter le paquet de hardes dont M. de Climal lui avait fait présent ; à telles enseignes que j’ai encore un mouchoir à elle, qu’elle a oublié chez moi et qui ne vaut pas grand argent ; mais enfin, n’importe, il est à elle, et je n’y veux rien ; on l’a blanchi tel qu’il est ; quand il serait meilleur, il en serait de même ; et ce que j’en dis n’est que pour faire voir si je la dois connaître. En un mot comme en cent, qu’elle parle ou qu’elle ne parle pas, c’est Marianne ; et quoi encore ? Marianne ; c’est le nom qu’elle avait quand je l’ai prise ; si elle ne l’a plus, c’est qu’elle en a changé ; mais je ne lui en savais point d’autre, ni elle non plus ; encore était-ce, m’a-t-elle dit, la nièce d’un curé qui le lui avait donné ; car elle ne sait qui elle est ; c’est elle qui me l’a dit aussi. Que diantre, où est donc la finesse que j’y entends ? Est-ce que j’ai envie de lui nuire, moi, à cette enfant, qui a été ma fille de boutique ? Est-ce que je lui en veux ? Pardi ! je suis comme tout le