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La femme de chambre en question, qui se promenait dans la cour, parut à la porte quand on me l’ouvrit. Je vis une femme assez bien faite, mise à peu près comme elle devait l’être, avec des façons convenables à son état ; enfin une vraie femme de chambre extrêmement révérencieuse.

De douter qu’elle fût à madame de Miran, en vertu de quoi cette défiance me serait-elle venue ? Voici le carrosse dans lequel elle est arrivée ; et ce carrosse est à ma mère ; il était un peu différent de celui que je connaissais et que j’avais toujours vu ; mais ma mère peut en avoir plus d’un.

Mademoiselle, me dit cette femme de chambre, je viens vous prendre, et madame de Miran vous attend.

Serait-ce, lui dis-je, qu’elle va dîner ailleurs, et qu’elle veut m’emmener avec elle ? Il est pourtant de bonne heure.

Non, ce n’est pour aller nulle part, je pense ; et il me semble que ce n’est seulement que pour passer la journée avec vous, me répondit-elle, après avoir un instant hésité, comme une personne qui ne sait que répondre. Mais cet instant d’embarras fut si court, que je n’y songeai que lorsqu’il ne fut plus temps.

Allons, mademoiselle, lui dis-je, partons ; et sur-le-champ nous montâmes en carrosse. Je remarquai cependant que le cocher m’était inconnu, et il n’y avait point de laquais.

Cette femme de chambre se mit d’abord vis-à-vis de moi ; mais à peine fûmes-nous sorties de la cour du couvent, qu’elle me dit : Je ne saurais aller de cette façon-là ; vous voulez bien que je me place à côté de vous ?

Je ne répondis mot, mais je trouvai l’action familière. Je savais que ce n’était point l’usage, je l’avais entendu dire. Pourquoi, pensai-je en moi-même, cette femme en agit-elle si librement avec moi, qui suis censée être si fort au-dessus d’elle, et qu’elle doit regarder comme une amie de sa maîtresse ? Je suis persuadée que ce n’est pas là l’intention de madame de Miran.

Après cette réflexion il m’en vint une autre ; j’observai que le cocher n’avait point la livrée de ma mère, et tout de