Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et nous étions déjà dans le carrosse pendant qu’elle me parlait ainsi.

Vous savez donc quelque chose de ce qui me regarde lui dis-je. Eh ! mais oui, me répondit-elle ; j’en ai entendu dire quelques mots par-ci par-là ; il s’agit d’un homme d’importance qu’on ne veut pas que vous épousiez, n’est-ce pas ?

À peu près, repris-je. Eh bien ! me repartit-elle, ôtez que vous êtes probablement entêtée de ce jeune homme qu’on vous refuse ; par ma foi je ne trouve pas que vous ayez tant à vous plaindre. On dit que vous n’avez ni père ni mère, et qu’on ne sait ni d’où vous venez, ni qui vous êtes ; on ne vous en fait point un reproche, ce n’est pas votre faute ; mais entre nous, qu’est-ce qu’on devient avec cela ? On reste sur le pavé ; on vous en montrera mille comme vous qui y sont ; cependant il n’en est ni plus ni moins pour vous. On vous ôte un amant qui est trop grand seigneur pour être votre mari ; mais en revanche on vous en donne un autre que vous n’auriez jamais eu, et dont une belle et bonne fille de bourgeois s’accommoderait à merveille. Je n’en trouverai pas un pareil, moi qui ai père et mère, oncle et tante, et tous les parents, tous les cousins du monde ; et il faut que vous soyez née coiffée. Je vous en parle savamment, au reste ; car j’ai vu le mari dont il s’agit. C’est un jeune homme de vingt-sept à vingt-huit ans, vraiment fort joli garçon, fort bien fait. Je ne sais pas son bien ; mais il a de si bonnes protections, qu’il n’en a que faire, et il ira loin. Je ne dis pas qu’à son tour il ne soit fort heureux de vous avoir ; mais cela n’empêche pas que ce ne soit une fortune et un très bon établissement pour vous.

Enfin nous verrons, lui répondis-je, sans vouloir disputer avec elle. Mais pourriez-vous m’apprendre qui sont les gens chez qui vous me menez, et à qui je vais parler ?

Oh ! reprit-elle, ce sont des personnes de très grande importance ; vous êtes en bonnes mains. Nous allons chez madame de…, qui est une parente de la famille de votre premier amant. Or, cette dame, qu’elle me nommait, n’était,