Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’il vous plaît, que la femme du ministre, et je devais paraître devant le ministre même, ou, pour mieux dire, j’allais chez lui. Jugez à quelles fortes parties j’avais affaire, et s’il me restait la moindre lueur d’espérance dans ma disgrâce.

Je vous ai dit que j’avais imaginé que madame de Miran ou son fils pourraient me rencontrer en chemin ; mais, quand même ce hasard-là me serait arrivé, il me serait devenu bien inutile, par la précaution que prit la femme, qui avait apparemment ses ordres ; il y avait des rideaux tirés sur les glaces du carrosse, de façon que je ne pouvais ni voir ni être vue.

Nous arrivâmes, et on nous arrêta à une porte de derrière qui donnait dans un vaste jardin, que nous traversâmes, et dans une allée duquel ma conductrice me laissa assise sur un banc, en attendant, me dit-elle, qu’elle eût été savoir s’il était temps que je me présentasse.

À peine y avait-il un demi-quart d’heure que j’étais seule, que je vis venir une femme de quarante-cinq à cinquante ans, qui me parut être de la maison, et qui, en m’abordant d’un air de politesse subalterne et domestique, me dit : Ne vous impatientez pas, mademoiselle. Monsieur de… (et ce fut le ministre qu’elle me nomma) est enfermé avec quelqu’un, et on viendra vous chercher dès qu’il sera libre. Alors, par une allée qui rentrait dans celle où nous étions, vint un jeune homme de vingt-huit à trente ans, d’une figure assez passable, vêtu fort uniment, mais avec propreté ; il nous salua, et feignit aussitôt de se retirer.

Monsieur, monsieur, lui cria cette femme qui m’avait abordée, mademoiselle attend qu’on la vienne prendre : je n’ai pas le temps de rester avec elle, tenez-lui compagnie, je vous prie ; la commission est bien agréable, comme vous voyez. Aussi vous suis-je bien obligé de me la donner, reprit-il en s’approchant d’un air plus révérencieux que galant.

Ah çà ! dit la femme, je vous laisse donc ; mademoiselle, c’est un de nos amis au moins, ajouta-t-elle, sans quoi je