Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/323

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ne m’en irais pas, et son entretien vaut bien le mien ; là-dessus elle partit.

Qu’est-ce que tout cela signifie ? me dis-je en moi-même ; et pourquoi cette femme me laisse-t-elle ?

Ce jeune homme me parut d’abord assez interdit ; et il débuta par s’asseoir à côté de moi, après m’avoir fait encore une révérence à laquelle je répondis avec beaucoup de froideur.

Voici, dit-il, le plus beau temps du monde, et cette allée-ci est charmante ; c’est comme si on était à la campagne. Oui, repartis-je ; et puis la conversation tomba ; je ne m’embarrassais guère de ce qu’elle deviendrait.

Apparemment qu’il cherchait comment il la relèverait, et le seul moyen dont il s’avisa pour cela, ce fut de tirer sa tabatière, et puis me la présentant ouverte : Mademoiselle en use-t-elle ? me dit-il. Non, monsieur, répondis-je ; et le voilà encore à ne savoir que dire. Les monosyllabes dont j’usais, pour parler comme lui, n’étaient d’aucune ressource. Comment faire ?

Je toussai. Mademoiselle est-elle enrhumée ? Ce temps-ci cause beaucoup de rhumes ; hier il faisait froid, aujourd’hui il fait chaud, et ces changements de temps n’accommodent pas la santé. Cela est vrai, lui dis-je.

Pour moi, reprit-il, quelque temps qu’il fasse, je ne suis point sujet aux rhumes ; je ne connais pas ma poitrine ; rien ne m’incommode.

Tant mieux, lui dis-je. Quant à vous, mademoiselle, me repartit-il, enrhumée ou non, vous n’en avez pas moins le meilleur visage du monde aussi bien que le plus beau.

Monsieur, vous êtes bien honnête, lui répondis-je… Oh ! c’est la vérité. Paris est bien grand, mais il n’y a certainement pas beaucoup de personnes qui puissent se vanter d’être faites comme mademoiselle, ni d’avoir tant de grâces.

Monsieur, lui dis-je, voilà des compliments que je ne mérite point ; je ne me pique pas de beauté, et il n’est pas question de moi, s’il vous plaît. Mademoiselle, je dis ce