Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/324

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que je vois, et il n’y a personne à ma place qui ne vous en dît autant et davantage, reprit-il ; vous ne devez pas vous fâcher d’un discours qu’il vous est impossible d’empêcher, à moins que vous ne vous cachiez, et ce serait grand dommage ; car il est certain qu’il n’y a point de dame qui soit si digne d’être considérée. En mon particulier, je me tiens bien heureux de vous avoir vue, et encore plus heureux si cette occasion, qui m’est si favorable, me procurait le bonheur de vous revoir et de vous présenter mes services.

À moi, monsieur, qui ne vous trouve ici que par hasard, et qui, suivant toute apparence, ne vous retrouverai de ma vie ?

Eh ! pourquoi de votre vie, mademoiselle ? reprit-il ; c’est selon votre volonté, cela dépend de vous ; et, si ma personne ne vous était pas désagréable, voici une rencontre qui pourrait avoir bien des suites ; il ne tiendra qu’à vous que nous ayons fait connaissance ensemble pour toujours ; et, pour ce qui est de moi, il n’y a pas à douter que je ne le souhaite ; il n’y a rien à quoi j’aspire tant ; c’est ce que la sincère inclination que je me sens pour vous m’engage à vous dire. Il est vrai qu’il n’y a qu’un moment que j’ai l’honneur de voir mademoiselle, et vous direz que c’est avoir le cœur pris bien promptement ; mais c’est le mérite et la physionomie des gens qui règlent cela. Certainement je ne m’attendais pas à tant de charmes ; et, puisque nous sommes sur ce sujet, je prendrai la liberté de vous assurer que tout mon désir est d’être assez fortuné pour vous convenir, et pour obtenir la possession d’une aussi charmante personne que mademoiselle.

Comment monsieur, repris-je, négligeant de répondre à d’aussi pesantes et d’aussi grossières protestations de tendresse, vous ne vous attendiez pas, dites-vous, à tant de charmes ? Est-ce que vous avez su que vous me verriez ici ? En étiez-vous averti ?

Oui, mademoiselle, me repartit-il ; ce n’est pas la peine de vous tenir plus longtemps en suspens ; c’est de moi que mademoiselle Cathos vous a entretenue en vous amenant ;