Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle vient de me le dire. Quoi ! m’écriai-je encore, c’est donc vous qui êtes le mari qu’on me propose, monsieur ?

C’est justement votre serviteur, me dit-il ; ainsi vous voyez bien que j’ai raison quand je dis que notre connaissance durera longtemps, si vous en êtes d’avis ; c’était tout exprès que je me promenais dans le jardin, et on ne m’a laissé avec vous qu’afin de nous procurer le moyen de nous entretenir. On m’avait bien promis que je verrais une très aimable demoiselle ; mais j’en trouve encore plus qu’on ne m’en a dit ; d’où il arrive que ce sera avec un tendre amour que je me marierais aujourd’hui, et non point par raison et par intérêt, comme je le croyais. Oui, mademoiselle, c’est véritablement que je vous aime ; je suis enchanté des perfections que je rencontre en vous, je n’en ai point vu de pareilles ; et c’est ce qui m’a d’abord embarrassé en vous parlant ; car, quoique j’aie bien fréquenté des demoiselles, je n’ai encore été amoureux d’aucune. Aussi êtes-vous plus gracieuse que toutes les autres, et c’est à vous de voir ce que vous voulez qu’il en soit. Vous êtes bien mon fait ; il n’y a plus qu’à savoir si je suis le vôtre. Au surplus, mademoiselle, vous pouvez vous enquêter de mon humeur et de mon caractère, je suis sûr qu’on vous en fera de bons rapports ; je ne suis ni joueur, ni débauché ; je me vante d’être rangé ; je ne songe qu’à faire mon chemin à cette heure que je suis garçon, et je ne serai pas pire quand je serai en ménage. Au contraire, une femme et des enfants vous rendent encore meilleur ménager. Pour ce qui est de mes facultés présentes, elles ne sont pas bonnement bien considérables ; mon père a un peu mangé, un peu trop aimé la joie, ce qui n’enrichit pas une famille ; d’ailleurs, j’ai un frère et une sœur, dont je suis l’aîné à la vérité, mais c’est toujours trois parts au lieu d’une. On me donnera pourtant quelque chose d’avance en faveur de notre mariage ; mais ce n’est pas cela que je regarde ; le principal est qu’on me gratifie à présent d’une bonne place, et qu’on me va mettre dans les affaires, dès que notre contrat sera signé ; sans compter que, depuis trois ans, je n’ai pas laissé que de