Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/340

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à m’inquiéter ? Quelle peut avoir été l’intention de ceux qui ont imaginé de me soustraire cette jeune enfant, à qui je m’intéresse ? Ce projet-là ne vient pas de madame, j’en suis sûre ; je ne la confonds point du tout avec les gens qui ont tout au plus gagné sur elle qu’elle s’y prêtât. Je ne m’en prends point à vous non plus, monsieur ; on vous a gagné aussi, et voilà tout : mais de quel prétexte s’est-on servi ? Sur quoi a-t-on pu fonder une entreprise aussi bizarre ? de quoi mademoiselle est-elle coupable ?

Mademoiselle ! s’écria encore là-dessus, d’un ton railleur, cette parente sans nom ; mademoiselle ! Il me semble avoir entendu dire qu’elle s’appelait Marianne, ou qu’elle s’appelle comme on veut ; car, comme on ne sait d’où elle sort, on n’est sûr de rien avec elle, à moins qu’on ne devine ; mais c’est peut-être une petite galanterie que vous lui faites à cause qu’elle est passablement gentille.

Valville, à ce discours, ne put se retenir et la regarda avec un ris amer et moqueur qu’elle sentit.

Mon petit cousin, lui dit-elle, ce que je dis là ne vous plaît pas, nous le savons ; mais vous pourriez vous dispenser d’en rire. Et si je le trouve plaisant, ma grande cousine, pourquoi n’en rirais-je pas ? répondit-il.

Taisez-vous, mon fils, lui dit aussitôt madame de Miran ; pour vous, madame, laissez-moi, je vous prie, parler à ma façon et comme je crois qu’il convient. Si mademoiselle avait affaire à vous, vous seriez la maîtresse de l’appeler comme il vous plairait ; quant à moi, je suis bien aise de l’appeler mademoiselle ; je dirai pourtant Marianne quand je voudrai, et cela sans conséquence, sans blesser les égards que je crois lui devoir ; le soin que je prends d’elle me donne des droits que vous n’avez pas ; mais ce ne sera jamais que dans ce sens-là que je la traiterai aussi familièrement que vous le faites, et que vous vous figurez qu’il vous est permis de le faire. Chacun a sa manière de penser, et ce n’est pas là la mienne ; je n’abuserai jamais du malheur de personne. Dieu nous a caché ce qu’elle est, je ne déciderai point ; je vois bien qu’elle est à plaindre ; mais je ne