Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/342

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orgueil pitoyable, vous en conviendrez ; surtout, je vous le répète encore, avec une jeune personne du caractère dont elle est. Je suis fâchée qu’elle soit présente, mais vous me forcez de vous dire que sa figure, qui vous paraît jolie, est en vérité ce qui la distingue le moins ; et je puis vous assurer que par son bon esprit, par les qualités de l’âme et par la noblesse des procédés, elle est demoiselle autant qu’aucune fille, de quelque rang qu’elle soit, puisse l’être. Oh ! vous m’avouerez que cela impose, du moins c’est ainsi que j’en juge ; et ce que je vous dis là, elle ne le doit ni à l’usage du monde, ni à l’éducation qu’elle a eue, et qui a été fort simple ; il faut que cela soit dans le sang, et voilà à mon gré l’essentiel.

Oh ! sans doute, ajouta Valville, qui glissa tout doucement ce peu de mots ; sans doute, et si dans le monde on s’était avisé de ne donner les titres de madame ou de mademoiselle qu’au mérite de l’esprit et du cœur, ah ! qu’il y aurait de madames ou de mademoiselles qui ne seraient plus que des Manons et des Cataus ! mais heureusement on n’a tué ni leur père ni leur mère, et on sait qui elles sont.

Là-dessus on ne put s’empêcher de rire un peu. Mon fils, encore une fois, je vous défends de parler, lui dit assez vivement madame de Miran.

Quoi qu’il en soit, continua-t-elle ensuite, je la protège ; je lui ai fait du bien, j’ai dessein de lui en faire encore ; elle a besoin que je lui en fasse, et il n’y a point d’honnêtes gens qui n’enviassent le plaisir que j’y ai, qui ne voulussent se mettre à ma place. C’est de toutes les actions la plus louable que je puisse faire ; il serait honteux d’y trouver à redire, à moins qu’il n’y ait des lois qui défendent d’avoir le cœur humain et généreux ; à moins que ce ne soit offenser l’État que de s’intéresser, quand on est riche, à la personne la plus digne qu’on la secoure et qu’on la venge de ses malheurs. Voilà tout mon crime ; et, en attendant qu’on me prouve que c’en est un, je viens, monsieur, vous demander raison de la hardiesse qu’on a eue à mon égard, et de la surprise qu’on vous a faite à vous-même, aussi bien qu’à ma-