Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/343

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dame ; je viens chercher une fille que j’aime et que vous aimeriez autant que moi, si vous la connaissiez, monsieur.

Elle s’arrêta là. Tout le monde se tut, et moi je pleurais en jetant sur elle des regards qui témoignaient les mouvements dont j’étais saisie pour elle, et qui émurent tous les assistants ; il n’y eut que cette inexorable parente que je n’ai point nommée, qui ne se rendit point, et dont l’air paraissait toujours aussi sec et aussi révolté qu’il l’avait été d’abord.

Aimez-la, madame, aimez-la ; qui est-ce qui vous en empêche ? dit-elle en secouant la tête ; mais n’oubliez pas que vous avez des parents et des alliés qui ne doivent point en souffrir, et que du moins il n’y aille rien du leur ; c’est tout ce qu’on vous demande.

Eh ! vous n’y songez pas, madame, vous n’y songez pas, reprit ma mère ; ce n’est ni à vous, ni à personne à régler mes sentiments là-dessus ; je ne suis ni sous votre tutelle, ni sous la leur ; je leur laisse volontiers le droit de conseil avec moi, mais non pas celui de réprimande ; c’est vous qui les faites agir et parler, madame, et je suis persuadée qu’aucun d’eux n’avouerait ce que vous leur faites dire à tous.

Vous m’excuserez, madame, vous m’excuserez, s’écria la harpie ; nous n’ignorons pas vos desseins, et ils nous choquent tous aussi ; en un mot, votre fils aime trop cette petite fille, et, qui pis est, vous le permettez.

Et, si en effet je le lui permets, qui est-ce qui pourra le lui défendre ? Quel compte aura-t-il à rendre aux autres ? repartit froidement madame de Miran. Vous dirai-je encore plus, c’est que j’aurais fort mauvaise opinion de mon fils, c’est que je ferais très peu de cas de son caractère, si lui-même n’en faisait pas beaucoup de cette petite fille, pour parler comme vous, que je ne tiens pourtant pas pour si petite, et qui ne sera telle que pour ceux qui n’auront peut-être que leur orgueil au-dessus d’elle.

À ce dernier mot, le ministre, qui avait écouté tout le dialogue, toujours souriant et les yeux baissés, prit sur-le-champ la parole pour empêcher les répliques.