Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/358

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Patience, me dit-elle, je le ferai placer ici dans votre chambre, quand vous y serez ; et vous y serez bientôt. Où mettez-vous votre argent, Marianne ? Vous n’avez rien pour cela, je pense. Aussitôt elle ouvrit un tiroir ; tenez, continua-t-elle, voilà une bourse qui est fort bien travaillée ; servez-vous-en. Je vous remercie, ma mère, lui repartis-je ; mais où mettrai-je tout l’amour, tout le respect et toute la reconnaissance que j’ai pour ma mère ? Il me semble que j’en ai plus qu’il n’en peut tenir dans mon cœur.

Elle sourit à ce discours. Savez-vous ce qu’il faut faire, ma mère, nous dit Valville, qui était resté à l’entrée du cabinet, et que la joie d’entendre ce que nous disions toutes deux avec cette familiarité douce et badine tenait comme en extase ; mettons votre fille le plus vite que nous pourrons dans cette chambre où vous avez dessein de placer le portrait, elle en sera moins embarrassée de tout l’amour qu’elle a pour vous, et plus à portée de venir vous en parler pour le soulager.

C’est de quoi nous allons nous entretenir tout à l’heure, répondit madame de Miran ; surtout, je veux lui montrer l’appartement que j’occupais du vivant de votre père.

Et sur-le-champ nous passâmes dans une grande antichambre que j’avais déjà vue, et dans laquelle il y avait une porte vis-à-vis de celle par où nous entrions. Cette porte nous mena à cet appartement qu’ils voulaient me faire voir. Il était plus vaste et plus orné que celui de madame de Miran, et donnait comme le sien sur un très beau jardin. Eh bien ! ma fille, comment vous trouvez-vous ici ? Ne vous y ennuierez-vous point ; y regretterez-vous vous votre couvent ? me dit-elle en riant.

Je me mis à pleurer là-dessus de pur ravissement, et me jetant entre ses bras : Ah ! ma mère, lui repartis-je d’un ton pénétré, quelles délices pour moi ! Songez-vous que cet appartement-ci me conduira dans le vôtre ?

À peine achevais-je ces mots qu’un coup de sifflet nous avertit qu’il venait une visite.

Ah ! mon Dieu, s’écria madame de Miran, que je suis fâ-