Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/359

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chée ! J’allais sonner pour donner ordre de dire que je n’y étais pas ; retournons chez moi. Nous nous y rendîmes.

Un laquais entra, qui nous annonça deux dames que je ne connaissais pas, qui n’avaient point entendu parler de moi non plus ; elles me regardèrent beaucoup, et me prirent peut-être pour une parente de la maison. Elles venaient rendre elles-mêmes une de ces visites indifférentes, qui entre femmes n’aboutissent qu’à se voir une demi-heure, qu’à se dire quelques bagatelles ennuyeuses, et qu’à se laisser là sans se soucier les unes des autres.

Je remarquerai, pour vous amuser seulement (et je n’écris que pour cela), que, de ces dames, il y en eut une qui parla fort peu, ne prit presque point de part à ce que l’on disait, ne fit que remuer la tête pour en varier les attitudes et les rendre avantageuses ; enfin qui ne songea qu’à elle et à ses grâces ; et il est vrai qu’elle en aurait eu quelques-unes si elle s’était moins occupée de la vanité d’en avoir ; mais cette vanité gâtait tout, et ne lui en laissait pas une de naturelle. Il y a beaucoup de femmes comme elle qui seraient fort aimables si elles pouvaient oublier un peu qu’elles le sont. Celle-ci, je suis sûre, n’allait et ne venait par le monde que pour se montrer, que pour dire : Voyez-moi ; elle ne vivait que pour cela.

Je crois qu’elle me trouva jolie, car elle me regarda peu et toujours de côté ; on démêlait qu’elle faisait semblant de me compter pour rien, de ne pas s’apercevoir que j’étais là, et le tout pour persuader qu’elle ne trouvait rien en moi que de fort commun.

Une chose la trahit pourtant, c’est qu’elle avait toujours les yeux sur Valville, pour observer laquelle des deux il regardait le plus, d’elle ou de moi ; et en un sens c’était bien là me regarder moi-même, et craindre que je n’eusse la préférence. L’autre dame, plus âgée, était une femme fort sérieuse, et cependant fort frivole, c’est-à-dire, qui parlait gravement et avec dignité d’un équipage qu’elle faisait faire, d’un repas qu’elle avait donné, d’une visite qu’elle avait rendue, d’une histoire que lui avait contée la marquise une