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passer quelque temps à Versailles, où il est nécessaire qu’il se rende. Tu n’as rien apporté de ton couvent pour cette petite absence, mais je te donnerai tout ce qu’il te faut.

Ah ! mon Dieu, que de plaisir ! Quoi ! dix ou douze jours avec vous, sans vous quitter lui répondis-je ; ne changez donc point d’avis, ma mère.

Aussitôt elle passa dans son cabinet, écrivit à l’abbesse qu’elle m’emmenait à la campagne, fit porter le billet sur-le-champ et deux heures après nous partîmes.

Notre voyage n’était pas long ; cette terre n’était éloignée que de trois petites lieues, et Valville se déroba deux ou trois fois de Versailles pour nous y venir voir. Il ne fut pas pourvu de cette charge dont j’ai parlé aussi vite qu’on l’avait cru ; il survint des difficultés qui traînèrent l’affaire en longueur ; chaque jour cependant on en attendait la conclusion. Nous revînmes de campagne, ma mère et moi, et je retournai encore à mon couvent, où elle ne comptait pas que je dusse rester plus d’une semaine ; j’y restai cependant plus d’un mois pendant lequel je vins, comme à l’ordinaire, dîner quelquefois chez elle, et quelquefois chez madame Dorsin.

Durant cet intervalle, Valville fut toujours aussi empressé et aussi tendre qu’il l’avait jamais été, mais sur la fin plus gai qu’il n’avait coutume de l’être ; en un mot, il avait toujours autant d’amour, mais que de patience sur les incidents qui reculaient la conclusion de son affaire. Ce que je vous dis là, je ne me le rappelai que longtemps après, en repassant sur tout ce qui avait précédé le malheur qui m’arriva dans la suite. La dernière fois même que je dînai chez sa mère, il ne s’y trouva pas lorsque je vins, et ne se rendit au logis qu’un instant avant que nous nous missions à table. Un importun l’avait retenu, nous dit-il ; et je le crus, d’autant plus qu’à cela près je ne voyais rien de changé en lui. En effet il était toujours le même, à l’exception qu’il était un peu plus dissipé qu’à l’ordinaire, à ce que m’avait dit madame de Miran avant qu’il entrât. C’est qu’il s’ennuie, avait-elle ajouté, de voir différer vote mariage.