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Enfin, la dernière fois qu’elle me ramenait à mon couvent : Je vous prie, ma mère, que je sois de la partie, lui dit Valville, qui avait été charmant ce jour-là ; qui, à mon gré, ne m’avait jamais tant aimée ; qui ne me l’avait jamais dit avec tant de grâces, ni si galamment, ni si spirituellement. Et tant pis, tant de galanterie et tant d’esprit n’étaient pas bon signe : il fallait apparemment que son amour ne fût plus ni si sérieux, ni si fort ; et il ne me disait de si jolies choses qu’à cause qu’il commençait à n’en plus sentir de si tendres.

Quoi qu’il en soit, il eut envie de nous suivre ; madame de Miran disputa d’abord, et puis consentit ; le Ciel en avait ainsi ordonné. Je le veux bien, reprit-elle, mais à condition que vous resterez dans le carrosse, et que vous ne paraîtrez point, pendant que j’irai voir un instant l’abbesse. Et c’est de cette complaisance qu’elle eut pour lui que vont venir les plus grands chagrins que j’aie eus de ma vie.

Une dame de grande distinction était venue la veille à mon couvent avec sa fille, qu’elle voulait y mettre en pension jusqu’à son retour d’un voyage qu’elle allait faire en Angleterre, pour y recueillir une succession que lui laissait la mort de sa mère.

Il y avait très peu de temps que le mari de cette dame était mort en France. C’était un seigneur anglais, qu’à l’exemple de beaucoup d’autres, son zèle et sa fidélité pour son roi avaient obligé de sortir de son pays ; et sa veuve, dont le bien avait fait toute sa ressource, partait pour le vendre, et pour recueillir cette succession, dont elle voulait se défaire aussi, dans le dessein de revenir en France, où elle avait fixé son séjour.

Elle était donc convenue la veille avec l’abbesse que sa fille entrerait le lendemain dans ce couvent, et elle venait positivement de l’amener quand nous arrivâmes, de telle sorte que nous trouvâmes leur carrosse dans la cour.

À peine sortions-nous du nôtre, que nous vîmes ces deux dames descendre d’un parloir d’où elles venaient d’avoir un moment d’entretien avec l’abbesse.