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Je n’ai rien vu de si touchant que ce visage-là, sur lequel cependant l’image de la mort était peinte : c’en était une image qui attendrissait, et qui n’effrayait pas.

En voyant cette jeune personne, on eût plutôt dit, elle ne vit plus, qu’on n’eût dit, elle est morte. Je ne puis vous représenter l’impression qu’elle faisait qu’en vous priant de distinguer ces deux façons de parler, qui paraissent signifier la même chose, et qui dans le sentiment pourtant en signifient de différentes. Cette expression, elle ne vit plus, ne lui donnait pas les laideurs de la mort.

Enfin avec ce corps délacé, avec cette belle tête penchée, avec ces traits, dont on regrettait les grâces qui y étaient encore, quoiqu’on s’imaginât ne les y plus voir, avec ces beaux yeux fermés, je ne sache point d’objet plus intéressant qu’elle l’était, ni de situation plus propre à remuer le cœur que celle où elle se trouvait alors.

Valville était derrière nous, qui avait la vue fixée sur elle ; je le regardai plusieurs fois, et il ne s’en aperçut point. J’en fus un peu étonnée, mais je n’allai pas plus loin, et n’en inférai rien.

Madame de Miran cherchait dans sa poche un flacon plein d’une eau souveraine en pareils accidents, et elle l’avait oublié chez elle.

Valville, qui en avait un pareil au sien, s’approcha tout d’un coup avec vivacité, nous écarta tous, pour ainsi dire, et, se mettant à genoux devant elle, tâcha de lui faire respirer de cette liqueur qui était dans le flacon, et lui en versa dans la bouche ; ce qui, joint aux mouvements que nous lui donnions, fit qu’elle entr’ouvrit les yeux, et les promena languissamment sur Valville, qui lui dit avec je ne sais quel ton tendre ou affectueux que je trouvai singulier : Allons, mademoiselle, prenez-en, respirez-en encore.

Et lui-même, par un geste sans doute involontaire, lui prit une de ses mains qu’il pressait dans les siennes. Je la lui ôtai sur-le-champ, sans savoir pourquoi.

Doucement, monsieur, lui dis-je ; il ne faut pas l’agiter tant. Il ne m’écouta pas : mais tout cela ne paraissait, de