Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/388

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presque sans sentiment. À la fin je me soulevai, et me mis à regarder cette lettre. Ah ! Valville, m’écriai-je, je n’avais donc qu’à mourir ! Et puis tournant les yeux sur mademoiselle Varthon : Ne vous affligez pas, mademoiselle, lui dis-je : vous serez bientôt libre de vous aimer tous deux ; je ne vivrai pas longtemps ; voilà du moins le dernier de tous mes malheurs.

À ce discours, cette jeune personne, sortant tout d’un coup de sa rêverie, et m’apostrophant d’un air assuré : Eh ! pourquoi voulez-vous mourir ? me dit-elle. Pour qui êtes-vous si désolée ? Est-ce là un homme digne de votre douleur, digne de vos larmes ? Est-ce là celui que vous avez prétendu aimer ? Est-il tel que vous le pensez ? Auriez-vous fait cas de lui, si vous l’aviez connu ? Vous y seriez-vous attachée ? Auriez-vous voulu de son cœur ? Il est vrai que vous l’avez cru aimable, j’ai cru aussi qu’il l’était ; et vous vous trompiez, je me trompais. Allez, Marianne, cet homme-là n’a point de caractère, il n’a pas même un cœur ; on n’appelle pas cela en avoir un. Votre Valville est méprisable. Ah ! l’indigne, il vous aime, il va vous épouser ; vous tombez malade, on lui dit que votre vie est en danger ; qu’en arrive-t-il ? Qu’il vous oublie. C’est ce temps-là qu’il prend pour me venir dire qu’il m’aime, moi qu’il n’avait jamais vue qu’un instant, qui ne lui avais pas dit deux mots. Eh ! qu’est-ce que c’est donc que cet amour qu’il avait pour vous ? Quel nom donner, je vous prie, à celui qu’il a pour moi ? D’où lui est venue cette fantaisie de m’aimer dans de pareilles circonstances ? Hélas ! je vais vous le dire, c’est qu’il m’a vue mourante : cela a remué cette petite âme faible qui ne tient à rien, qui est le jouet de tout ce qu’elle voit d’un peu singulier. Si j’avais été en bonne santé, il n’aurait pas pris garde à moi ; c’est mon évanouissement qui en a fait un infidèle ; et vous qui êtes si aimable, si capable de faire des passions, peut-être avez-vous eu besoin d’être infortunée, et d’être dangereusement tombée à sa porte, pour le fixer quelques mois. Je conviens avec vous qu’il vous a regardée beaucoup à l’église, mais c’est à cause que