Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/391

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Eh ! mon Dieu, ma fille, qu’est-ce que c’est ? qu’avez-vous ? me dit-elle ; venez-vous de vous trouver mal ?

Non, lui répondis-je. Et j’en restai là.

Mais de quoi s’agit-il ? Vous voilà pâle, abattue, et vous pleurez, je pense ! Avez-vous reçu quelque mauvaise nouvelle ?

Oui, lui repartis-je encore et puis je me tus.

Elle ne savait que penser de mes monosyllabes, et de l’air imbécile dont je les prononçais.

Alors elle aperçut cette lettre qui était sur moi, que je tenais encore d’une main faible, et que j’avais trempée de mes larmes.

Est-ce là le sujet de votre affliction, ma chère enfant ? ajouta-t-elle en me la prenant, et me permettez-vous de voir ce que c’est ?

Oui. (C’est encore moi qui réponds.) Eh ! de qui est-elle ? Hélas ! de qui elle est ! Je n’en pus dire davantage, mes pleurs me coupèrent la parole.

Elle en fut touchée, je vis qu’elle s’essuyait les yeux ; ensuite elle lut la lettre ; il ne lui fut pas difficile de juger de qui elle était, elle savait mes affaires ; elle voyait dans cette lettre une déclaration d’amour ; on priait la personne à qui on l’adressait de ne m’en rien dire ; on y parlait de madame de Miran, qui devait l’ignorer aussi. Ajoutez à cela l’affliction où j’étais ; tout la forçait de conclure que Valville avait écrit la lettre, et que je venais en ce moment d’apprendre son infidélité.

Allons, mademoiselle je suis au fait, me dit-elle : vous pleurez, vous êtes consternée ; ce coup-ci vous accable, et j’entre dans votre douleur. Vous êtes jeune, et vous manquez d’expérience ; vous êtes née avec un bon cœur, avec un cœur simple et sans artifice ; le moyen que vous ne soyez pas pénétrée de l’accident qui vous arrive ! Oui, mademoiselle, plaignez-vous, soupirez, répandez des larmes dans ce premier instant ; moi, qui vous parle, je connais votre situation, je l’ai éprouvée, je m’y suis vue, et je fus d’abord aussi affligée que vous ; mais une amie que j’avais, qui était