Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/40

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française. Monseigneur l’archevêque de Sens, Linguay de Gorgy, le frère du célèbre curé de Saint-Sulpice, devait recevoir le nouveau venu. Parler en public de la Comédie-Italienne, de Marianne et du Paysan perverti ; pour un archevêque, la tâche était difficile. M. de Gorgy se tira habilement de l’entreprise. Il imagina de supposer qu’il n’avait lu ni les comédies ni les romans de son nouveau confrère. Mais en revanche, disait-il, de très honnêtes gens lui en avaient parlé avec de si grands éloges, qu’il ne pouvait s’empêcher de rendre justice à tant d’art et à tant de goût, à tant d’observations fines et justes, à tant de zèle et de probité. Cette façon indirecte de lui ouvrir les portes de la compagnie ne plut guère à Marivaux. C’était un homme tout d’une pièce, et il n’avait pas mené pendant cinquante-cinq ans cette vie correcte et calme pour qu’un homme, quel qu’il fût, eût le droit de le louer sur parole. On finit cependant par l’apaiser en lui prouvant qu’il était impossible que l’archevêque de Sens n’eût pas lu les livres dont il parlait si bien. Ce que Marivaux eût voulu surtout dans cette occasion solennelle, c’eût été enfin d’apprendre à quoi s’en tenir sur l’opinion que l’Académie française pouvait avoir sur son style, à lui Marivaux. Un nouveau mot s’était formé autour de sa renommée, et ce mot-là restera dans notre langue pour désigner cette toute nouvelle façon d’écrire. Cela s’appelait le marivaudage. Marivaux était le seul qui ne comprît pas la valeur et la portée de ce mot-là. Le marivaudage ! qu’est-ce à dire ? Et il ajoutait naïvement qu’il ne comprenait rien aux éloges ni aux critiques que l’on faisait du style de certaines gens.

« On parle toujours du style, disait-il, et l’on ne parle jamais de l’esprit de celui qui a ce style. Ne croirait-on