Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/416

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Oh ! je vous demande, irez-vous tout d’un coup lui dire que vous ne voulez plus qu’il en soit question ? Je la connais, monsieur. Madame votre mère a un cœur plein de droiture et de vertu ; et, sans compter le chagrin que vous lui feriez, cela lui causerait encore une surprise qui vous nuirait peut-être dans son esprit et il faut tâcher de lui adoucir un peu cette aventure-ci. Une mère comme elle est bien digne d’être ménagée ; et moi-même, pour tous les biens du monde, je ne voudrais pas être cause que vous fussiez mal auprès d’elle, j’en serais inconsolable. Eh ! qui suis-je, pour être le sujet d’une querelle entre vous et madame de Miran, moi qui vous ai l’obligation de la bienveillance qu’elle a pour moi, et de tous les bienfaits que j’en ai reçus ? Ah ! mon Dieu, ce serait bien alors que vous auriez raison de détester le jour où vous avez connu cette malheureuse orpheline ; mais c’est à quoi je ne donnerai pas lieu, si je puis. Ainsi, monsieur, voyez comment vous souhaitez que je me conduise, et quel arrangement nous prendrons, afin de vous épargner les inconvénients dont je vous parle. Je ferai tout pour vous, hors de dire que je ne vous aime plus ; ce qui n’est pas encore vrai, et ce qu’après tout ce qui s’est passé je n’aurais pas même la hardiesse de dire, quand ce serait une vérité. Mais, à l’exception de ce discours, vous n’avez qu’à me dicter ceux que vous trouverez à propos que je tienne ; vous êtes le maître, et ce n’est que dans le dessein de vous servir que j’ai pris la liberté de vous tirer à quartier ; ainsi expliquez-vous, monsieur.

Jusque-là Valville s’était défendu du mieux qu’il avait pu, et avait eu, je ne sais comment, le courage de ne convenir de rien ; mais ce que je venais de dire le mit hors d’état de résister davantage ; ma générosité le terrassa, l’anéantit devant moi ; je ne vis plus qu’un homme rendu, qui ne faisait plus mystère de sa honte, qui s’y laissait aller sans réserve, et qui se mettait à la merci du mépris que j’étais bien en droit d’avoir pour lui. Je ne fis pas semblant de voir sa confusion ; mais comme il restait