Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/418

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette humiliation que je laissais dans son cœur, cet étonnement où il devait être de la noblesse de mon procédé, enfin cette supériorité que mon âme venait de prendre sur la sienne, supériorité plus attendrissante que fâcheuse, plus aimable que superbe, tout cela me remuait intérieurement d’un sentiment doux et flatteur ; je me trouvais trop respectable pour n’être pas regrettée.

Voilà qui était fini ; il ne lui était plus possible, à mon avis, d’aimer mademoiselle Varthon d’aussi bon cœur qu’il aurait fait ; je le défiais de m’oublier, d’avoir la paix avec lui-même ; sans compter que j’avais dessein de ne le plus voir, ce qui serait encore une punition pour lui ; de sorte que, tout bien examiné, je crois qu’en vérité je me le figurais encore plus à plaindre que moi ; mais au surplus c’était sa faute ; pourquoi était-il infidèle ?

Telles étaient les petites pensées qui m’occupaient en allant au devant de madame de Miran, et je ne saurais vous dire le charme qu’elles avaient pour moi, ni combien elles tempéraient ma douleur.

C’est que la vengeance est douce à tous les cœurs offensés ; il leur en faut une, il n’y a que cela qui les soulage ; les uns l’aiment cruelle, et les autres généreuse ; et, comme vous voyez, mon cœur était de ces derniers ; car ce n’était pas vouloir beaucoup de mal à Valville que de ne lui souhaiter que des regrets.

Je vous ai déjà dit que mademoiselle Varthon et lui me suivaient, et ils nous eurent bientôt joints.

Il s’était élevé un petit vent assez incommode : Rentrons, dit madame de Miran ; et nous marchâmes du côté de la salle.

Je m’aperçus que madame Dorsin, qui avait la bonté de s’intéresser réellement à moi, et qui, par suite de certains soupçons qui lui étaient venus, avait pris garde à toutes mes démarches, je m’aperçus, dis-je, qu’elle fixait les yeux sur Valville, qui, de son côté, détournait la tête ; sa physionomie n’était pas encore bien remise de toutes les impressions qu’elle avait reçues.