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alarmes, et me tirer de cette humiliation d’esprit dans laquelle elle sentait bien que j’étais tombée.

Quelques jours auparavant, il était venu une dame de ses voisines, son intime amie, à qui elle voulut parler en particulier. Il y avait dans sa chambre un petit cabinet où je passai, et je ne sais par quelle curiosité tendre et inquiète je m’avisai d’écouter leur conversation.

Cette enfant m’afflige, lui disait madame de Tresle ; ce ne serait que pour elle que je souhaiterais de vivre encore quelque temps ; mais Dieu est le maître, il est le père des orphelins. Avez-vous eu la bonté, ajouta-t-elle, de parler à M. Villot ? (c’était un riche habitant du bourg voisin, qui avait été plus de trente ans fermier de feu M. de Tervire, mon grand-père, que son maître avait toujours estimé, qui avait gagné la meilleure partie de son bien à son service.)

Oui, lui dit son amie, j’ai été chez lui ce matin ; il s’en allait à la ville, où il a affaire pour un jour ou deux ; il se conformera à ce que vous lui demandez, et viendra vous en assurer à son retour : tranquillisez-vous. Mademoiselle de Tervire n’est point orpheline comme vous le pensez ; espérez mieux de sa mère. Il est vrai qu’elle l’a négligée ; mais elle ne la connaît point, et elle l’aimera dès qu’elle l’aura vue.

Quelque bas qu’elles parlassent, je les entendis, et le terme d’orpheline m’avait d’abord extrêmement surprise ; que pouvait-il signifier, puisque j’avais une mère, et que même on parlait d’elle ? Mais ce qu’avait répondu l’amie de madame de Tresle me mit au fait, et m’apprit qu’apparemment cette mère que je ne connaissais pas ne se souciait point de sa fille ; ce furent là les premières nouvelles que j’eus de son indifférence pour moi, et j’en pleurai amèrement, j’en demeurai consternée, toute petite fille que j’étais encore.

Six jours après ce que je vous dis là, madame de Tresle baissa tant, qu’on fit partir un domestique pour avertir ses filles, qui la trouvèrent morte quand elles arrivèrent.

Le fils aîné, celui que j’ai dit qui demeurait à quinze