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lieues de là, dans la terre de sa femme, était alors avec elle à Paris, où une affaire l’avait obligé d’aller, et le cadet était dans je ne sais quelle province avec son régiment ; ainsi, dans cette occurrence, il n’y eut que leurs sœurs de présentes, et je dépendis d’elles.

Elles restèrent quatre ou cinq jours à la maison, tant pour rendre les derniers devoirs à leur mère que pour mettre tout en ordre dans l’absence de leurs frères. Je crois qu’il y eut un inventaire ; du moins des gens de justice furent-ils appelés : madame de Tresle avait fait un testament ; il y avait quelques petits legs à acquitter, et mes tantes prétendaient d’ailleurs avoir des reprises sur le bien.

Figurez-vous des discussions, des débats entre les sœurs, qui tantôt se querellent, et tantôt se réunissent contre un homme à qui leur frère aîné, informé de la maladie de sa mère, avait envoyé sa procuration de Paris.

Imaginez-vous enfin tout ce que l’avarice et l’amour du butin peuvent exciter de criailleries et d’agitations indécentes entre des enfants qui n’ont point de sentiment, et à qui la mort de leur mère ne laisse, au lieu d’affliction, que de l’avidité pour sa dépouille : voilà l’image de ce qui arriva alors.

Où étais-je pendant tout ce fracas ? Dans une petite chambre où l’on m’avait reléguée à cause de mes pleurs et de mes gémissements qui étourdissaient les deux filles, et que je n’osai en effet continuer longtemps ; l’excès de ma douleur la rendit bientôt solitaire et muette, surtout depuis qu’elles surent que madame de Tresle m’avait laissé un diamant d’environ deux mille francs, qu’une de ses amies lui avait autrefois donné en mourant, et qu’elles furent obligées de délivrer au confesseur de leur mère, qui devait me le remettre ; ce diamant les avait outrées contre moi ; elles ne pouvaient pas me voir.

Comment ! est-il possible, disaient-elles, que notre mère nous ait moins aimées que cette petite fille ? N’est-il pas bien étonnant que ceux qui l’ont dirigée n’aient pas redressé ses sentiments, ni travaillé à lui en inspirer de plus natu-