Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/467

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niers mots qu’avec une voix étouffée par ses soupirs.

Vous avez vu que sa douleur n’avait fait d’abord que m’attendrir, elle m’effraya dans ce moment-ci. Tout ce qui l’avait conduite à ce couvent ressemblait si fort à ce qui me donnait envie d’y être, mes motifs venaient si exactement des mêmes causes, et je voyais si bien mon histoire dans la sienne, que je tremblais du péril où j’étais, ou plutôt de celui où j’avais été ; car je crois que dans cet instant je ne me souciais plus de cette maison, non plus que de celles qui y demeuraient ; je me sentis glacée pour elles, et je ne fis plus de cas de leurs façons.

De sorte que, après avoir quelques instants rêvé sur ce que je venais d’entendre : Ah ! mon Dieu, madame, que de réflexions vous me faites faire ! dis-je à cette religieuse qui pleurait encore, et combien vous m’apprenez de choses que je ne savais pas !

Hélas ! me répondit-elle, je vous l’ai déjà dit, mademoiselle, et je vous le répète, ne confiez notre conversation à personne ; je ne suis déjà que trop à plaindre, et je le serais encore davantage si vous parliez.

Vous n’y songez pas, lui dis-je ; moi, révéler une confidence à laquelle je devrai peut-être tout le repos de ma vie, et que malheureusement je ne puis payer par aucun service, malgré le triste état où vous êtes, et qui m’arrache les pleurs que vous me voyez verser ! ajoutai-je avec un attendrissement dont la douceur la gagna au point que le reste de son secret lui échappa.

Hélas ! vous ne voyez rien encore, et vous ne savez pas tout ce que je souffre, s’écria-t-elle en appuyant sa tête sur ma main, que je lui avais passée, et qu’elle arrosa de ses larmes.

Chère amie, lui répondis-je à mon tour, auriez-vous encore d’autres chagrins ? Soulagez votre cœur en me les disant ; donnez-vous du moins cette consolation-là avec une personne qui vous aime, et qui en soupirera avec vous.

Eh bien ! me dit-elle, je me fie à vous ; j’ai besoin de secours, et je vous en demande, et c’est contre moi-même.