Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/476

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d’honneur que si elle m’avait faite religieuse, l’encouragea à suivre son dessein, résolut aussitôt avec lui de m’en instruire, et de me donner à dîner chez elle où je le trouvai.

Venez, ma fille, venez que je vous embrasse, me dit-elle dès qu’elle me vit. Je n’ai jamais cessé de vous aimer, quoique j’aie un peu cessé de vous le dire ; mais laissons là mon silence, et les raisons qui l’ont causé. Il faut croire que Dieu a tout fait pour le mieux ; ce qui se présente aujourd’hui pour vous me console de ce que vous avez perdu, et vous saurez ce que c’est quand nous aurons dîné. Mettons-nous à table.

Pendant qu’elle me parlait, je jetai par hasard les yeux sur le gentilhomme en question, qui baissa gravement les siens, d’un air doux et discret pourtant, de l’air de quelqu’un qui était mêlé à ce qu’on avait à me dire.

Nous dînâmes donc ; ce fut lui qui me servit le plus souvent, il but à ma santé ; tout cela d’une manière qui m’annonçait des vues, et qui sentait la déclaration muette et chrétienne. On devine mieux ces choses-là qu’on ne les explique ; de sorte que j’eus quelque soupçon de la vérité.

Après le repas, il passa de la table où nous étions dans le jardin. Mademoiselle, me dit madame de Sainte-Hermières, vous n’avez point de bien, votre mère ne peut vous en donner ; M. le baron de Sercour en a beaucoup (c’était le nom de notre dévot) ; c’est un homme plein de piété, qui ne croit pas pouvoir faire un meilleur usage de sa richesse que de la partager avec une fille de qualité aussi estimable, aussi vertueuse que vous l’êtes, et dont le mérite a besoin de fortune. Il vous offre sa main ; ce serait un mariage terminé en très peu de jours, et qui vous assurerait un établissement considérable. Il n’est question que d’en écrire à madame votre mère ; déterminez-vous, il n’y a pas à hésiter, ce me semble, pour peu que vous réfléchissiez sur la situation où vous êtes, et sur celle où vous pouvez tomber à l’avenir. Je vous parle en amie : le baron de Sercour n’est pas d’un âge rebutant ; il n’a pas beaucoup de santé, j’en conviens ; il est assez incertain qu’il vive longtemps, ajouta-