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ter tout ce que je savais de mon histoire, et de leur dire les justes soupçons que j’avais que madame de Sainte-Hermières était de moitié avec le neveu qu’ils croyaient un homme de bien, et que je crus devoir démasquer, en leur confiant, sous le sceau du secret, l’aventure de ce misérable avec la religieuse.

Il ne leur en fallut pas davantage pour achever de les désabuser sur mon compte, et, dès cet instant ils ne cessèrent de soutenir partout avec courage que le public était trompé, qu’on jugeait mal de moi, qu’on le verrait peut-être quelque jour ; ils prophétisaient. Ils ajoutaient qu’il était faux que l’abbé fût mon amant, ni qu’il eût jamais osé me parler d’amour ; qu’à la vérité il était question d’un fait incompréhensible, et qui mettait l’apparence contre moi ; mais que le n’y avais point d’autre part que d’en avoir été la victime.

Ils avaient beau dire, on se moquait d’eux, et je passai trois mois dans le désespoir de cet état-là.

Dès que je pus sortir, je voulus paraître pour me justifier, mais on me fuyait ; il était défendu à mes compagnes de m’approcher, et je pris le parti de ne plus me montrer.

Confinée dans ma chambre, toujours noyée dans les pleurs, méconnaissable tant j’étais changée, j’implorais le ciel, et j’attendais qu’il eût pitié de moi, sans oser l’espérer.

Il m’exauça cependant, et fit la grâce à madame de Sainte-Hermières de la punir pour la sauver.

Elle était allée rendre visite à une de ses amies ; il avait plu beaucoup la veille ; les chemins étaient rompus ; son carrosse versa dans un profond et large fossé, dont on ne la retira qu’évanouie et à moitié brisée. On la reporta chez elle ; la fièvre se joignit à cet accident, qui avait été précédé d’un peu d’indisposition ; et elle fut si mal, qu’on crut qu’elle n’en réchapperait pas.

Un ou deux jours avant qu’on désespérât d’elle, une de ses femmes, qui était mariée, près d’accoucher, souffrait