Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/490

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les témoins de cette scène la répandirent partout, et quand il n’en serait pas arrivé davantage, c’en était assez pour me justifier ; mais il restait encore une coupable à qui Dieu, dans sa miséricorde, voulait accorder le repentir de son crime.

Je parle de madame de Sainte-Hermières, qui, le lendemain même de ce que je viens de vous dire, et en présence de sa famille, de ses amis, et d’un ecclésiastique qui l’avait assistée, remit un paquet cacheté et écrit de sa main à M. Villot, qu’elle avait envoyé chercher. Elle le chargea de l’ouvrir, d’en publier, d’en montrer le contenu avant ou après sa mort, comme il lui plairait, et finit enfin par lui dire : J’aurais volontiers fait presser mademoiselle de Tervire de venir ici, mais je ne mérite pas de la voir ; c’est bien assez qu’elle ait la charité de prier Dieu pour moi. Adieu, monsieur, retournez chez vous, et ouvrez ensemble ce paquet qui la consolera. M. Villot sortit en effet, et revint au logis, où, conformément à la volonté de cette dame, nous lûmes le papier qui avait laissé pour le moins autant de curiosité que d’étonnement à ceux qui avaient entendu ce que madame de Sainte-Hermières avait dit en le remettant à M. Villot ; et voici à peu près et en peu de mots ce qu’il contenait :

« Prête à paraître devant Dieu, et à lui rendre compte de mes actions, je déclare à M. le baron de Sercour qu’il ne doit rien imputer à mademoiselle de Tervire de l’aventure qui s’est passée chez moi, et qui a rompu son mariage avec elle. C’est moi et une autre personne (qu’elle ne nommait point) qui avons faussement supposé qu’elle avait de l’inclination pour le neveu de M. le baron. Ce rendez-vous que nous avons dit qu’elle lui avait donné la nuit dans sa chambre, ne fut qu’un complot concerté entre cette autre personne et moi, pour la brouiller avec M. de Sercour. Je meurs pénétrée de la plus parfaite estime pour la vertu de mademoiselle de Tervire, à qui je n’ai nui que dans la crainte du tort que cette autre personne menaçait de me faire à moi-même, si j’avais refusé d’être sa complice. »