Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/491

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Il me serait impossible de vous exprimer tout ce que cet écrit me donna de consolation, de calme et de joie ; vous en jugerez par l’excès de l’infortune où j’avais langui.

M. Villot alla sur-le-champ lire et montrer ce papier partout, d’abord à M. de Sercour, qui partit aussitôt pour me venir voir et me faire des excuses.

Enfin, tout le monde revint à moi ; les visites ne finissaient point ; c’était à qui me verrait, à qui m’aurait, à qui m’accablerait de caresses, de témoignages d’estime et d’amitié. Tous ceux qui avaient connu ma mère lui écrivirent ; et l’abbé, devenu à son tour l’exécration du public aussi bien que de son oncle, se vit forcé de sortir du pays, où deux ans après on apprit que sa mauvaise conduite et ses dettes l’avaient fait mettre dans une prison, où il finit ses jours.

La femme de chambre de madame de Sainte-Hermières ne mourut point. Cette dame elle-même survécut à son écrit, qui m’avait si bien justifiée, et se retira dans une petite terre écartée, où elle existait encore quand je sortis du pays. Le baron de Sercour, que je traitai toujours fort poliment partout où je le rencontrai, voulut renouer avec moi, et proposa de conclure le mariage ; mais je ne pus m’y résoudre ; il m’avait trop peu ménagée.

J’avais alors dix-sept ans et demi ; une dame que je n’avais jamais vue, et qui était extrêmement âgée, arriva dans le pays ; il y avait au moins cinquante-cinq ans qu’elle l’avait quitté, et elle y revenait, disait-elle, pour y revoir sa famille, et pour y finir ses jours.

Cette dame était une sœur de feu M. de Tervire mon grand-père, qu’un jeune et riche négociant avait épousée dans notre province, où quelques affaires l’avaient amené. Il y avait bien trente-cinq ans qu’elle était veuve, et il ne lui était resté qu’un fils, qui pouvait bien en avoir quarante. Je ne saurais me dispenser d’entrer dans ce détail, puisqu’il doit éclaircir ce que vous allez entendre ; c’est d’ici que les plus importantes aventures de ma vie vont tirer leur origine.

Vous m’avez vue rejetée de ma mère dans mon enfance ; manquant d’asile, et maltraitée de mes tantes dans mon