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adolescence, réduite enfin à me réfugier dans la maison d’un paysan (car mon fermier en était un), qui me garda cinq années entières, à qui j’aurais été à charge par la médiocrité de ma pension, chez qui même je n’aurais pas eu le plus souvent de quoi me vêtir sans son amitié pour moi, et sans sa reconnaissance pour mon grand-père.

Me voici à présent parvenue à l’âge de la jeunesse ; voyons les événements qui m’y attendent.

Cette dame dont je viens de vous parler, ne sachant plus où se loger en arrivant, ni qui pourrait la recevoir depuis la mort de mon grand-père, s’était arrêtée dans la ville la plus prochaine, et de là avait envoyé au château de Tervire, tant pour savoir par qui il était occupé, que pour avoir des nouvelles de la famille.

On y trouva Tervire, ce frère cadet de mon père, qui, depuis deux ou trois jours, y était arrivé de Bourgogne, où il vivait avec sa femme dont je ne vous ai rien dit, et qui y avait ses biens, et où le peu de d’accueil qu’on avait toujours fait à ce cadet dans nos cantons, depuis le désastre de son aîné, l’avait comme obligé de se retirer.

Je vous ai déjà fait observer que la dame en question avait un fils ; il faut que vous sachiez encore que ce fils, à qui, comme à un riche héritier, elle avait donné toute l’éducation possible, et que dans sa jeunesse elle avait envoyé à Saint-Malo pour y régler quelques restes d’affaires, y était devenu amoureux de la fille d’un petit artisan, fort vertueuse et fort raisonnable, disait-on, mais qui avait une sœur qui ne lui ressemblait pas, une malheureuse aînée qui n’avait de commun avec elle que la beauté, et, qui pis est, dont la conduite avait personnellement déshonoré le père et la mère qui la souffraient.

Son autre sœur, malgré cette opprobre de sa famille, n’en était pas moins estimée, quoique la plus belle, et ce ne pouvait être là que l’effet d’une sagesse bien prouvée et bien exempte de reproche.

Quoi qu’il en soit, le fils de madame Dursan (c’était le nom de la dame dont il s’agit), transporté d’amour pour