Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/500

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ture survinrent ; nous ne sortions presque plus du château, c’étaient toujours de nouvelles indispositions ; et elle en eut une, entre autres, qui parut lui annoncer une fin si prochaine, qu’elle fit son testament sans me le dire.

J’étais alors dans ma chambre, où il n’y avait qu’une heure que je m’étais retirée, pour me livrer à toute l’inquiétude et à toute l’agitation d’esprit que me causait son état.

J’avais pris tant d’attachement pour elle, et je tenais si fort à la tendresse qu’elle avait pour moi, que la tête me tournait quand je pensais qu’elle pouvait mourir.

Aussi, depuis quelques jours, étais-je moi-même extrêmement changée. De peur de l’effrayer cependant, je paraissais tranquille, et tâchais de montrer un peu de ma gaîté ordinaire.

Mais en pareil cas on rit de si mauvaise grâce, on imite si mal et si tristement ce qu’on ne sent point ! Madame Dursan ne s’y trompait pas, et souriait tendrement en me regardant comme pour me remercier de mes efforts.

Elle venait donc d’écrire son testament, quand je quittai ma chambre pour la rejoindre. J’avais pleuré, et il reste toujours quelque petite impression de cela sur le visage.

D’où viens-tu, ma nièce ? me dit-elle, tu as les yeux bien rouges ! Je ne sais, lui répondis-je ; c’est peut-être de ce que je me suis assoupie un quart d’heure. Non, tu n’as pas l’air d’avoir dormi, reprit-elle en secouant la tête ; tu as pleuré.

Moi, ma tante ! de quoi voulez-vous que je pleure ? m’écriai-je avec cet air dégagé que j’affectais. De mon âge et de mes infirmités, me dit-elle en souriant. Comment ! de vos infirmités ! Pensez-vous qu’un petit dérangement de santé qui se passera me fasse peur, avec le tempérament que vous avez ? lui répondis-je d’un ton qui allait me trahir si je ne m’étais pas arrêtée.

Je suis mieux aujourd’hui ; mais on n’est pas éternelle, mon enfant, et il y a longtemps que je vis, me dit-elle en cachetant un paquet.

À qui écrivez-vous donc, madame ? lui dis-je sans répon-