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remettre dans ma cassette ; et c’était toujours mon bon cœur qui se vengeait sans que je le susse.

Enfin, le surlendemain, une des meilleures amies de madame Dursan, femme à peu près de son âge, qui l’était venue voir sur les quatre heures, et que je reconduisais par galanterie jusqu’à son carrosse, qu’elle avait fait arrêter dans la grande allée, me dit au sortir du château : Promenons-nous donc un instant de ce côté ; et elle tournait vers un petit bois qui était à droite et à gauche de la maison, et qu’on avait percé pour faire l’avenue. Il y a quelqu’un qui nous y attend, ajouta-t-elle, qui n’a pas osé me suivre chez vous, et que je suis bien aise de vous montrer.

Je me mis à rire. Au moins puis-je me fier à vous, madame, et n’a-t-on pas dessein de m’enlever ? lui répondis-je.

Non, reprit-elle du même ton, et je ne vous mènerai pas bien loin.

En effet, à peine étions-nous entrées dans cette partie du bois, que je vis à dix pas de nous trois personnes qui nous abordèrent avec de grandes révérences ; et de ces trois personnes, j’en reconnus une, qui était mon jeune homme. L’autre était une femme très bien faite, d’environ trente-huit à quarante ans, qui devait avoir été de la plus grande beauté, et à qui il en restait encore beaucoup, mais qui était pâle, et dont l’abattement paraissait venir d’une tristesse ancienne et habituelle ; au surplus, mise comme une femme qui n’aurait pu conserver qu’une vieille robe pour se parer.

L’autre était un homme de quarante-trois ou quarante-quatre ans, qui avait l’air infirme, assez mal arrangé d’ailleurs, et à qui on ne voyait plus, pour tout reste de dignité, que son épée.

Ce fut lui qui le premier s’avança vers moi, en me saluant ; je lui rendis son salut, sans savoir à quoi cela aboutissait.

Monsieur, dis-je-au jeune homme, qui était à côté de lui, dites-moi, je vous prie, de quoi il est question. De mon père