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Je jetai les yeux sur le fils après avoir quitté le père. Ce fils était mon parent, et, dans de pareilles circonstances, rien ne devait m’empêcher de lui donner les mêmes témoignages d’amitié qu’à M. Dursan ; et cependant je n’osais pas. Ce parent-là était différent, je ne trouvais pas que mon attendrissement pour lui fût si honnête ; il se passait entre lui et moi je ne sais quoi de trop doux qui m’avertissait d’être moins libre, et qui lui en imposait à lui-même.

Mais aussi pourquoi l’aurais-je traité avec plus de réserve que les autres ? Qu’en aurait-on pensé ? Je me déterminai donc, et je l’embrassai avec une émotion égale à la sienne.

Voyons d’abord ce que vous souhaitez que je fasse, dis-je alors à M. et madame Dursan ; ma tante a beaucoup de tendresse pour moi, et vous pouvez compter sur tout le crédit que cela peut me donner sur elle ; encore une fois, le testament qu’elle a fait pour moi et rien, c’est la même chose ; je le lui déclarerai quand il vous plaira ; mais il faut prendre des mesures avant que de vous présenter à elle, ajoutai-je en adressant la parole à Dursan le père.

Trouvez-vous à propos que je la prévienne, me dit la dame qui m’avait amenée, et que je lui avoue que son fils est ici ?

Non, repris-je d’un air pensif ; je connais son inflexibilité à l’égard de monsieur, et ce ne serait pas là le moyen de réussir.

Hélas ! mademoiselle, reprit Dursan le père, c’est, comme vous voyez, à un mourant qu’elle pardonnerait ; il y a longtemps que je n’ai plus de santé ; ce n’est pas pour moi que je lui demande grâce, c’est pour ma femme et pour mon fils que je laisserais dans la dernière indigence.

Que parlez-vous d’indigence ? Ôtez-vous donc cela de l’esprit, lui répondis-je ; vous ne rendez point justice à mon caractère. Je vous ai déjà dit, et je le répète, que je ne veux rien de ce qui est à vous, que j’en ferai ma déclaration, et que dès cet instant votre sort ne dépend plus du succès de la réconciliation que nous allons tenter auprès de ma tante ; à moins que, sur mon refus d’hériter d’elle, elle ne