Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/517

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fasse un nouveau testament en faveur d’un autre, ce qui ne me paraît pas croyable. Quoi qu’il en soit, il me vient une idée.

Votre mère a besoin d’une femme de chambre, elle ne saurait s’en passer ; elle en a perdu une que vous avez connue sans doute, c’était la Lefèvre ; mettons à profit cette conjoncture, et tâchons de placer auprès d’elle madame Dursan que voilà. Ce sera vous, dis-je à l’autre dame, qui la présenterez, et qui lui répondrez d’elle et de son attachement, qui lui en direz hardiment tout ce qu’en pareil cas on peut dire de plus avantageux. Madame est aimable ; la douceur et les grâces de sa physionomie vous rendront bien croyable, et la conduite de madame achèvera de justifier votre éloge ; voilà ce que nous pouvons faire de mieux. Je suis sûre que sous ce personnage elle gagnera le cœur de ma tante ; oui, je n’en doute pas, ma tante l’aimera, vous remerciera de la lui avoir donnée ; peut-être qu’au premier jour, dans la satisfaction qu’elle aura d’avoir trouvé infiniment mieux que ce qu’elle a perdu, elle nous fournira elle-même l’occasion de lui avouer sans péril une petite supercherie qui n’est que louable, qu’elle ne pourra s’empêcher d’approuver, qu’elle trouvera touchante, qui l’est en effet, qui ne manquera pas de l’attendrir, et qui l’aura mise hors d’état de nous résister quand elle en sera instruite. On ne doit point rougir d’ailleurs de tenir lieu de femme de chambre à une belle-mère irritée, qui ne vous a jamais vue, quand ce n’est qu’une adresse pour désarmer sa colère.

À peine eus-je ouvert cet avis, qu’ils s’y rendirent tous, et que leurs remercîments recommencèrent ; ce que je proposais marquait, disaient-ils, tant de franchise, tant de zèle et de bonne volonté pour eux, que leur étonnement ne finissait point.

Dès demain, dans la matinée, dit la dame qui était leur amie et la mienne, je mène madame Dursan à sa belle-mère ; heureusement elle m’a demandé tantôt si je ne savais pas quelque personne raisonnable qui pût remplacer la