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Lefèvre. Je lui ai même promis de lui en chercher une, et je vous arrête pour elle, dit-elle en riant à madame Dursan, qui était charmée de ce que j’avais imaginé, et qui répondit qu’elle se tenait pour arrêtée.

Nous entendîmes alors quelques domestiques qui étaient dans l’allée de l’avenue ; nous craignîmes ou qu’ils ne nous vissent, ou que ma tante ne leur eût dit d aller savoir pourquoi je ne revenais pas. Nous jugeâmes à propos de nous séparer, d’autant plus qu’il nous suffisait d’être convenus de notre dessein, et qu’il nous serait aisé d’en régler l’exécution suivant les occurrences, et de nous concerter tous les jours ensemble, quand une fois l’affaire serait entamée.

Nous nous retirâmes donc, madame Dorfrainville et moi (c’est le nom de la dame qui m’avait amenée), pendant que Dursan, sa femme et son fils allèrent, à travers le petit bois, gagner le haut de l’avenue, pour attendre cette dame qui devait en passant les prendre dans son carrosse, qui les avait tous trois logés chez elle, qui les faisait passer pour d’anciens amis dont la perte d’un procès avait déjà dérangé la fortune, et qui, pour les en consoler, les avait engagés à la venir voir pour quelques mois.

Tu as été bien longtemps avec madame Dorfrainville, me dit ma tante quand je fus arrivée. Oui, lui dis-je ; il n’était point tard, elle a eu envie de se promener dans le petit bois. Ma tante n’insista pas davantage.

Le lendemain, à dix heures du matin, madame Dorfrainville était déjà au château. Je venais moi-même d’entrer chez madame Dursan.

Enfin vous avez une femme de chambre, lui dit tout d’un coup cette dame, mais une femme de chambre unique ; sans vous je renverrais la mienne, et je garderais celle-là ; il faut vous aimer autant que je vous aime pour vous donner la préférence. C’est une femme attentive, affectionnée, vertueuse ; c’est le meilleur sujet, le plus fidèle, le plus estimable qu’il y ait peut-être ; je ne crois pas qu’il soit possible d’avoir mieux ; et tout cela se voit dans sa physio-