Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/574

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cœur et l’esprit, et que, par un excès de faiblesse et de complaisance, elle avait laissé s’imbiber de tout ce que les préjugés de l’orgueil et de la vanité ont de plus sot et de plus misérable ; ce fils enfin, qui était un des plus grands partis qu’il y eût en France, avait à peu près dix-huit ans, quand le père, qui était extrêmement riche, et qui souhaitait le voir marié avant de mourir, proposa à la marquise, sans l’avis de laquelle il ne faisait rien, de parler à M. le duc de… pour sa fille.

La marquise, qui, comme je viens de vous le dire, adorait ce fils et ne respirait que pour lui, non seulement approuva son dessein, mais le pressa de l’exécuter.

Le duc de…, qui n’aurait pu choisir un gendre plus convenable de toutes façons, accepta avec joie la proposition, arrangea tout avec lui, et quinze jours après nos jeunes gens s’épousèrent.

À peine furent-ils mariés, que le marquis (je parle du père) tomba sérieusement malade ; il ne vécut plus que six ou sept semaines. Tout le bien venait de lui ; vous savez que ma mère n’en avait point, et que, lorsqu’il l’avait épousée, elle ne vivait que sur la légitime de mon père, dont je vous ai déjà dit la valeur, et sur quelques morceaux de terre qu’elle lui avait apportés en mariage, et qui n’étaient presque rien.

Il est vrai que le marquis lui avait reconnu une dot assez considérable, de laquelle elle aurait pu vivre fort convenablement, si elle n’avait rien changé ; mais sa tendresse pour le jeune marquis l’aveugla, et peut-être fallait-il aussi qu’elle fût punie du coupable oubli de tous ses devoirs envers sa fille.

Elle eut donc l’imprudence de renoncer à tous ses droits en faveur de son fils, et de se contenter d’une pension assez modique qu’il était convenu de lui faire, à laquelle elle se borna d’autant plus volontiers qu’il s’engageait à la prendre chez lui et à la défrayer de tout.

Elle se retira chez ce fils deux jours après la mort de son mari ; on l’y reçut d’abord avec politesse. Le premier mois