Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/575

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’y passe sans qu’elle ait à se plaindre des façons qu’on a pour elle, mais aussi sans qu’elle ait à s’en louer ; c’étaient de ces procédés froids, quoique honnêtes, dont le cœur ne saurait être content, mais dont on ne pourrait faire sentir ni expliquer le défaut aux autres.

Après ce premier mois, son fils insensiblement la négligea plus qu’à l’ordinaire. Sa belle-fille, qui était naturellement fière et dédaigneuse, qui avait vu par hasard quelques nobles du pays venir en assez mauvais ordre rendre visite à sa belle-mère, qui la croyait elle-même fort au-dessous de l’honneur que feu le marquis lui avait fait de l’épouser, redoubla de froideur pour elle, supprima de jour en jour certains égards qu’elle avait eus jusque alors, et se relâcha si fort sur les attentions, qu’elle en devint choquante.

Aussi ma mère, qui de son côté avait de la hauteur, en fut-elle extrêmement offensée, et elle lui en marqua un jour son ressentiment.

Je vous dispense, lui dit-elle, du respect que vous me devez comme à votre belle-mère ; manquez-y tant qu’il vous plaira, c’est plus votre affaire que la mienne, et je laisse au public à me venger là-dessus : mais je ne souffrirai point que vous me traitiez avec moins de politesse que vous n’oseriez même en avoir avec votre égale. Moi, vous manquer de politesse, madame, lui répondit sa belle-fille en se retirant dans son cabinet ; mais vraiment le reproche est considérable, et je serais très fâchée de le mériter ; quant au respect qu’on vous doit, j’espère que ce public, dont vous menacez, n’y sera pas si difficile que vous.

Ma mère sortit outrée de cette réponse ironique, s’en plaignit quelques heures après à son fils, et n’eut pas lieu d’en être plus contente que de sa belle-fille. Il ne fit que rire de la querelle ; ce n’était, disait-il, qu’un débat de femmes, qu’elles oublieraient le lendemain l’une et l’autre, et dont il ne devait pas se mêler.

Les dédains de la jeune marquise pour sa mère ne lui étaient pas nouveaux ; il savait déjà le peu de cas qu’elle faisait d’elle, et la différence qu’elle mettait entre la noblesse