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personne qui, à ma façon de me présenter, dût se faire une peine de m’avouer pour parente ou pour alliée.

Madame, lui dis-je, je juge, par l’étonnement où vous êtes, qu’on vous a mal dit mon nom, qui ne saurait vous être inconnu ; je m’appelle Terrvire.

Elle continuait toujours de me regarder sans me répondre ; je ne doutai pas que ce ne fût encore une hauteur de sa part. Et je suis la sœur de M. le marquis, ajoutai-je tout de suite.

Je suis bien fâchée, mademoiselle, qu’il ne soit pas ici, me repartit-elle en nous faisant asseoir ; il n’y sera que dans deux jours.

On me l’a dit, madame, repris-je ; mais ma visite n’est pas pour lui seul, et je venais aussi pour avoir l’honneur de vous voir. Ce ne fut pas sans beaucoup de répugnance que je finis ma réponse par ce compliment-là ; mais il faut être honnête pour soi, quoique souvent ceux à qui l’on parle ne méritent pas qu’on le soit pour eux. D’ailleurs, ajoutai-je sans m’interrompre, il s’agit d’une affaire extrêmement pressée qui doit nous intéresser mon frère et moi, et vous aussi, madame, puisqu’elle regarde ma mère.

Ce n’est pas à moi, me dit-elle en souriant, qu’elle a coutume de s’adresser pour ses affaires, et je crois qu’à cet égard-là, mademoiselle, il vaut mieux attendre que M. le marquis soit revenu ; vous vous expliquerez avec lui. Son indifférence là-dessus me choqua ; je vis, aux mines de tous ceux qui étaient présents, qu’on nous écoutait avec quelque attention. Je venais de me nommer ; les airs froids de la jeune marquise ne paraissaient pas me faire une grande impression ; je lui parlais avec une aisance ferme qui commençait à me donner de l’importance, et qui rendait les assistants curieux de ce que deviendrait notre entretien ; car voilà comme sont les hommes ; de façon que, pour punir la marquise du peu de souci qu’elle prenait de ma mère, je résolus sur-le-champ d’en venir à une discussion qu’elle voulait éloigner, ou comme fatigante, ou comme étrangère à elle, et peut-être aussi comme honteuse.