Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/581

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Il est vrai que ceux que j’avais pour témoins étaient ses amis ; mais je jugeais que leur attention curieuse et maligne les disposait favorablement pour moi, et qu’elle allait leur tenir lieu d’équité.

J’étais avec cela bien persuadée qu’ils ne savaient pas l’horrible situation de ma mère ; et j’aurais pu les défier, ce me semble, de quelque caractère qu’ils fussent, raisonnables ou non, de n’en pas être scandalisés, quand ils la connaîtraient.

Madame, lui dis-je donc, les affaires de ma mère sont bien simples et bien faciles à entendre ; tout se réduit à de l’argent qu’elle demande, et dont vous n’ignorez pas qu’elle ne saurait se passer.

Je viens de vous dire, repartit-elle, que c’est à M. le marquis qu’il faut parler, qu’il sera ici incessamment, et que ce n’est pas moi qui me mêle de l’arrangement qu’ils ont là-dessus ensemble.

Mais, madame, lui dis-je, tout cet arrangement ne consiste qu’à acquitter une pension qu’on a négligé de payer depuis près d’un an ; et vous pouvez, sans aucun inconvénient, vous mêler des embarras d’une belle-mère qui vous a aimée jusqu’à vous donner tout ce qu’elle avait.

J’ai ouï dire qu’elle tenait elle-même tout ce qu’elle nous a donné de feu M. le marquis, reprit-elle d’un ton presque moqueur, et je ne me crois pas obligée de remercier madame votre mère de ce que son fis est l’héritier de son père.

Prenez donc garde, madame, que cette mère s’appelle aujourd’hui la vôtre aussi bien que la mienne, répondis-je, et que vous en parlez comme d’une étrangère, ou comme d’une personne à qui vous seriez fâchée d’appartenir.

Qui vous dit que j’en suis fâchée, mademoiselle ? reprit-elle, et à quoi me servirait-il de l’être ? En serait-elle moins ma belle-mère, puisque enfin elle l’est devenue, et qu’il a plu à feu M. le marquis de la donner pour mère à son fils ?

Faites-vous bien réflexion à l’étrange discours que vous