Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/582

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tenez là, madame ? lui dis-je en la regardant avec une espèce de pitié. Que signifie ce reproche que vous faites à feu M. le marquis de son mariage ? Car enfin, s’il ne lui avait pas plu d’épouser ma mère, son fils apparemment n’aurait jamais été au monde, et ne serait pas aujourd’hui votre mari ; est-ce que vous voudriez qu’il ne fût pas né ? On le croirait ; mais assurément ce n’est pas là ce que vous entendez ; je suis persuadée que mon frère vous est cher, et que vous êtes bien aise qu’il vive ; mais ce que vous voulez dire, c’est que vous lui souhaiteriez une mère de meilleure maison que la sienne, n’est-il pas vrai ? Eh bien ! madame, s’il n’y a que cela qui vous chagrine, que votre fierté soit en repos là-dessus. M. le marquis était plus riche qu’elle, j’en conviens ; et de ce côté-là vous pouvez vous plaindre de lui tant qu’il vous plaira, je ne la défendrai pas. Quant au reste, soyez convaincue que sa naissance valait bien la sienne, qu’il ne se fit aucun tort en l’épousant, et que toute la province vous le dira. Je m’étonne que mon frère ne vous en ait pas instruite lui-même ; et madame Darcire, que vous voyez, avec qui je suis arrivée à Paris, et dont je ne doute pas que le nom n’y soit connu, voudra bien joindre son témoignage au mien. Ainsi, madame, ajoutai-je sans lui donner le temps de répondre, reconnaissez-la en toute sûreté pour votre belle-mère, vous ne risquez rien ; rendez-lui hardiment tous les devoirs de belle-fille que vous lui avez refusés jusqu’ici ; réparez l’injustice de vos dédains passés ; ils ont dû déplaire à tous ceux qui les ont vus ; ils vous ont sans doute gênée vous-même ; ils auraient toujours été injustes, quand ma mère aurait été mille fois moins que vous ne l’avez cru. Reprenez pour elle des façons et des sentiments dignes de vous, de votre éducation, de votre bon cœur, et de tous les témoignages qu’elle vous a donnés des tendresses du sien, par la confiance avec laquelle elle s’est fiée à vous et à son fils de ce qu’elle deviendrait le reste de sa vie.

Vous feriez vraiment d’excellents sermons, dit-elle alors en se levant d’un air qu’elle tâchait de rendre indifférent