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DOUZIÈME PARTIE.


Voici, madame, la dernière partie de ma vie. Quel effort, direz-vous, après quatre années de silence ! Oh ! tant qu’il vous plaira ; il s’agit de la conclusion de mon histoire et de celle de cette aimable religieuse dont les malheurs m’avaient si vivement touchée. Est-ce donc si peu de chose, et pouviez-vous de bonne foi me donner moins de temps pour terminer son histoire et la mienne ? Faites attention, s’il vous plaît, que j’ai ma réputation d’auteur à soutenir, et que j’aurai peut-être encore trop tôt détrompé le public sur mon compte. Un petit génie comme le mien voit toujours quelque imperfection dans son ouvrage ; il le corrige et le retouche sans cesse ; encore après tout cela ne se hasarde-t-il à le faire paraître qu’après avoir bien prévenu ses lecteurs par sa modestie.

Je vous avouerai, madame, qu’après l’histoire de l’aimable Tervire, je n’eus plus de goût pour le cloître ; une idée bien différente me captiva pour le moment. Vous souvient-il de cet homme de condition qui m’avait proposé de m’épouser ? Oui, sans doute ; cela est trop intéressant pour l’oublier ; si sa manière aisée n’était pas des plus galantes, du moins elle était franche et naïve ; et celle-là vaut bien l’autre, disais-je en mon petit moi-même. Il a du monde, un grand savoir-vivre, une conversation aisée et très agréable ; car il ne m’était rien échappé pendant tout le temps que nous restâmes avec lui chez madame Dorsin. Oh ! çà Marianne que feras-tu ? (C’est toujours moi qui parle.) Consentiras-tu à épouser ce galant homme ? En vérité, je le crois, si ma chère mère le veut ; mais que lui donnerai-je ? Oh ! je m’égare, je me trouble ; car je n’ai rien, je ne possède rien ; mon cœur même n’est plus à moi, il est absolu-