Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/586

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ment à M. de Valville ; oui, je dis absolument ; il m’est impossible de l’oublier, tout ingrat et tout infidèle qu’il est ; je serai donc malheureuse, et ce brave homme aussi, puisqu’il me sera impossible de l’aimer.

J’en étais là, madame, quand une sœur converse vint me dire : On vous attend au parloir ; c’est madame de Miran et madame Dorsin. Bon, dis-je, cela va bien ; j’aurai deux conseillères au lieu d’une.

Ah ! ma chère mère, que je suis ravie de vous voir ! Et aussitôt je saisis sa main, que je baisai avec les plus vifs sentiments de tendresse. Ne soyez pas fâchée, dis-je à madame Dorsin, si mes transports m’empêchent de vous témoigner la plus sincère reconnaissance. Point de compliments avec moi, ma chère Marianne, répondit-elle ; je suis charmée de vos attentions pour cette mère qui vous aime tant.

Eh bien ! dit alors madame de Miran, comment te trouves-tu aujourd’hui, chère fille ? Ta tristesse continue-t-elle toujours ? N’es-tu pas bien en colère contre mon fils ? Pour ma tristesse, ma chère mère, repris-je, elle est extrême ; je suis dans un abandon total de moi-même. Je croyais devenir véritablement votre fille ; cette idée-là m’avait ravie ; mais elle s’évanouit et cause tout mon malheur.

Ma chère fille, répondit madame de Miran, les chagrins me feront mourir. Je n’ai aucune nouvelle de mon fils ; je le crois encore à Versailles ; on dit qu’il est très languissant ; il ne voit personne ; j’ignore comme cette affaire-ci tournera. Mais qu’elle aille comme elle pourra, tu seras toujours ma chère fille, je ne t’oublierai jamais ; non, c’est une chose assurée. Je t’aime plus que mon fils ; entends-tu, Marianne ? Cela est vrai, très vrai.

Ah ! ma chère mère, dis-je, vous me ravissez ; je ne puis soutenir l’excès de ma tendresse pour vous. Et c’était la pure vérité, madame ; mon amour pour madame de Miran était monté au dernier période, l’infidélité du fils avait réuni toutes les facultés de mon âme en faveur de la mère.

Après un moment de silence et après avoir essuyé nos