Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/587

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larmes (je dis nos larmes, car nous pleurions toutes trois avec profusion), je racontai à ma mère et à madame Dorsin la déclaration singulière que l’officier m’avait faite. Vous le connaissez sans doute, ajoutai-je, et même m’a-t-il dit, très particulièrement. Alors ces deux dames se regardèrent en souriant.

Eh bien ! ma fille, dit madame de Miran, que penses-tu de cette proposition-là ? Est-elle de ton goût ? Oui certainement, nous le connaissons ; c’est un parfaitement honnête homme, d’une famille distinguée, gentilhomme d’honneur, qui a un mérite infini. Je crois que tu serais heureuse avec une personne de ce caractère. Je le crois aussi, dit madame Dorsin ; il n’y a pas à balancer un moment. Oui mais, madame, répondit ma mère, que deviendra Valville ? Après tout, continua-t-elle, rien ne presse ; je te dirai ma pensée avant que les huit jours qu’il t’a donnés pour te consulter soient écoulés ; mais dis-nous un peu ce que tu en penses toi-même. Te plaît-il ? L’aimes-tu déjà, ma fille ? Oh ! que non, ma chère mère ; il s’en faut bien ; mon cœur n’est pas si sujet à l’inconstance : je raisonne d’une certaine façon, et cette façon de raisonner ne me permet pas de m’engager à présent ; car, ajoutai-je, ma chère mère, que puis-je donner à ce généreux officier pour la récompense de son excessive bonté pour moi ? La fortune ne m’a laissé qu’un cœur, il est à votre fils ; apporterai-je à un mari, pour toute dot, une âme préoccupée et un cœur enflammé pour un autre ? Voilà un beau présent à faire à ce galant homme ! Non, ma chère mère, je ne puis m’y résoudre ; une pareille ingratitude m’attirerait le mépris des hommes et la colère de Dieu. Du moins, en n’épousant personne, je ne tromperai personne ; je me livrerai entièrement à ma chère mère ; et en disant cela, j’arrosai sa main de mes larmes.

Cette fille me charme, disait-elle à madame Dorsin ; plus je la connais, plus je me sens d’attachement pour elle. Eh ! qui ne l’aimerait pas avec de pareils sentiments ? Non, je n’ai connu de ma vie une si aimable enfant.

Nous on étions là, lorsque nous fûmes interrompus par