Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/588

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une voix qui demandait mademoiselle Varthon. Cette voix n’échappa point à madame Dorsin ; elle crut reconnaître un laquais de M. de Valville. Taisons-nous un moment, dit-elle ; il me vient une pensée. Madame Dorsin, intriguée, prêta l’oreille avec une grande attention, et comprit d’abord la fin de l’aventure. Le laquais donna une lettre à mademoiselle Varthon, qui lui dit d’une voix basse, après un instant de silence : Mon ami, informez votre maître que je ne manquerai pas d’aller chez madame de Kilnare. Eh ! comment se porte-t-il depuis hier ? A-t-il vu madame sa mère ? Non, répondit le laquais, il n’ose encore se présenter devant elle, mais je crois qu’il doit lui parler ce soir… Bonjour, faites-lui bien mes compliments.

Le laquais étant descendu dans la cour, madame Dorsin le vit par la fenêtre, et reconnut le factotum de M. de Valville. Voilà, dit-elle, des preuves bien évidentes de leur intelligence. Eh bien ! dit-elle à ma mère, que pensez-vous de tout ceci, madame ? Que dites-vous de l’hypocrisie de cette demoiselle Varthon ? N’a-t-elle pas voulu en imposer par son étalage de fierté et de grandeur d’âme ?

Ce que je pense, répond madame de Miran, c’est que mon fils est très malheureux d’être tombé dans les filets de cette petite personne-là ; qu’il s’en repentira, mais peut-être trop tard. Pour moi, je vous proteste qu’il ne l’épousera jamais de mon consentement ; et tout de suite s’adressant à madame Dorsin : Faites-moi un plaisir ; vous êtes en liaison avec madame de Kilnare, c’est une femme de mérite qui entend raison ; trouvez moyen de lui rendre une visite imprévue ; vous y trouverez mon fils : la Varthon ne pourra contester ce rendez-vous ; examinez bien leur contenance ; ensuite informez madame de Kilnare de mes desseins, de l’inconstance de mon fils, et du manège de cette jeune fille. Madame Dorsin promit d’exécuter ce projet. C’est une dangereuse petite créature que votre demoiselle Varthon ! s’écria madame de Miran ; croirait-on qu’à son âge on pût être capable d’une si parfaite dissimulation ? Tranquillise-toi, ma fille, voyant que mes soupirs me suffoquaient ; cette