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aventure tournera à ton avantage ; je prendrai de fortes mesures là-dessus.

Ah ! ma chère mère, lui dis-je, de grâce, ne chagrinez point M. de Valville à cause de moi : je ne le mérite pas ; son inconstance n’est point blâmable ; ce n’est qu’une suite des malheurs qu’entraîne l’obscurité de ma naissance. Je me trouvai mal en disant cela ; mon cœur venait de faire un effort qui l’avait épuisé ; il fallut me remporter dans ma chambre. Courage ! ma chère fille, s’écria ma bonne mère lorsqu’on me conduisait ; demain je viendrai te voir ; console-toi, mon enfant. Mais je ne pus répondre ; on me mit sur mon lit, où je restai une heure sans connaissance.

Après cette crise de chagrin, je me trouvai assez tranquille ; je dis tranquille, cela est vrai : car j’étais incapable de goûter ni joie ni tristesse. Je raisonnais cependant en moi-même ; mais ce raisonnement-là ne me paraissait ni agréable ni douloureux : mon état ressemblait fort à celui d’un imbécile qui fait des discours où il ne conçoit rien. M’étant levée, je me laissai aller négligemment dans un fauteuil. On m’apporte à manger, je mange ; on me présente à boire, je bois ; on me parle, j’ouvre de grands yeux et ne réponds rien.

La sœur converse qui me servait, me voyant dans cet abattement, s’écriait de temps en temps : Bon Dieu ! Sainte Vierge ! qu’est-ce que tout ceci ? Je crois que cette enfant se meurt. Eh ! mademoiselle, en me prenant les mains, vous trouvez-vous mal ? Point de réponse.

La religieuse mon amie arrive aussi ; elle m’approche, je ne la vois pas. Bonsoir, ma fille. Je ne réponds rien. Eh ! mais, me dit-elle, parlez donc ; vous est-il encore survenu quelque nouveau sujet de chagrin ? Eh oui ! m’écriai-je alors ; et je me tus. Mais, de grâce, ma chère enfant, continua-t-elle, dites-moi donc quelque chose ! Enfin, à force de me tourmenter, elle réveille un peu mes esprits ; la circulation du sang commence à agir ; en un mot, mon anéantissement se dissipe peu à peu.

Je lui raconte l’aventure de mademoiselle Varthon. Eh