Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/598

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me consoler ; elle y réussit peu à peu ; son langage paraissait tendre et pathétique. Elle avait essuyé la même disgrâce ; j’écoutai donc ses consolations, et ses consolations me firent impression. Elle engagea même l’abbesse, qui avait dans ce temps quelque bienveillance pour moi, à me donner une charge, afin d’étourdir mes chagrins par l’occupation. On me fit seconde maîtresse des pensionnaires ; il fallut obéir ; mais cet emploi, convoité par plusieurs de nos sœurs, me coûta bien cher. Soyez attentive, Marianne, à ce qu’il me reste à vous dire ; après cela décidez si vous êtes appelée pour le cloître, et si un volage amant, qui reviendra bientôt à vous, peut vous obliger à faire un pareil sacrifice. Tout volage qu’il est, soyez assurée qu’il fera réflexion à votre généreux procédé, à cette façon d’agir et de penser qui n’est connue que des grandes âmes, à ces charmes séduisants qui vous captivent tous les cœurs, à cet esprit orné des plus aimables qualités. Oui, ma fille, cela est certain ; il est plus à plaindre que vous ; il connaît déjà sa faute, et sent plus le poids de son inconstance que vous ne sentez celui de son infidélité. Il vous a trop aimée pour ne plus penser à vos charmes.

Ah ! ma révérende mère, lui répondis-je, épargnez mon faible cœur ; ne flattez ni ma vanité ni mon amour. Si M. de Valville ressent de la mortification, c’est à cause de madame sa mère qui m’aime et avec laquelle il doit garder des mesures. Son cœur a encore toute sa tendresse, elle n’a changé que d’objet. Mademoiselle Varthon a des grâces et ses grâces me l’ont enlevé ; cette espérance me paraît vaine, je n’ose m’en flatter. C’est donc nourrir ma passion de vouloir me repaître de cette chimère, je ne vois aucune apparence de retour ; oui, j’aime mieux croire que je l’ai perdu

    huitième partie de ma vie, comme pourrait faire Marianne, si c’était elle qui parlât. Il fallait, pour tomber dans une inconséquence si palpable, que madame Riccoboni eût l’esprit bien préoccupé par les difficultés de la tâche qu’elle s’était imposée. Mais comment cette inadvertance, qui n’aurait pu être commise par Marivaux, échappa-t-elle aux regards de Saint-Foix et de tous ceux qui eurent communication du manuscrit ? Comment ne servit-elle pas à leur faire découvrir la fraude et l’erreur ?