Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/604

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bien que j’ai pensé mourir cette nuit du chagrin que tu m’as causé ? Alors me voyant à découvert : Eh mais ! ton visage me paraît tout à fait bien. Eh, bon Dieu ! tu ris ; qu’est-ce que cela signifie, petite fille ? Vraiment, tu me combles de joie. S’est-il donc passé quelque chose de nouveau ? Il le faut bien ; car je te trouve gaie, et presque sans aucune marque de tristesse. As-tu appris, par mademoiselle Varthon, des nouvelles de mon fils ? Est-il venu te voir ? Sais-tu ce qui se passa hier chez madame de Kilnare ? Pendant ce récit, je raisonnais en moi-même : Mon fils, répétais-je tout bas, est-il venu te voir ? Sais-tu ce qui s’est passé hier chez madame de Kilnare ? Il y a ici assurément quelque bonne nouvelle. Mais il fallut cesser mon petit dialogue intérieur pour répondre.

Eh ! non, ma chère mère, répondis-je avec vivacité, je ne sais rien ; je ne vois plus cette demoiselle. Tu fais sagement, Marianne ; je loue ta fierté. Eh bien ! tu en apprendras tantôt des nouvelles chez madame Dorsin ; elle veut absolument que tu viennes avec moi dîner chez elle. Va t’habiller promptement ; en attendant, je dirai un mot à l’abbesse, avec laquelle j’ai quelque affaire à régler. Cette affaire, madame, me regardait ; mais elle ne m’en parla que lorsque nous fûmes en carrosse. Vous devez penser que je ne restai pas longtemps à ma toilette, pour ne pas faire attendre ma mère ; ce fut moi qui l’attendis, cela était dans l’ordre.

Me voilà partie, non pas sans soupirer. Je n’avais trouvé personne avec ma mère, et son fils, qui s’y trouvait ordinairement, me fuyait au lieu de m’attendre. En un mot, M. de Valville ne paraissait plus, cette pensée-là me fit rêver.

Ma fille, tu es bien sombre, me dit ma chère mère ; j’en devine la raison ; tranquillise-toi, ajouta-t-elle, la patience vient à bout de tout. Sais-tu, petite fille, que je viens de m’entretenir de toi avec l’abbesse ? Non, ma chère mère. Eh bien ! c’était pour te retirer du couvent. Tu n’y retourneras plus ; tu demeureras avec moi, c’est une chose résolue ; tout est terminé avec cette dame, qui a beaucoup de chagrin de te perdre.